Comme chacun sait, les questions qui sortent de la bouche des enfants sont toujours d’une criante naïveté mais je ne sais pas vous, je suis à chaque fois toujours étonnée par leur poignante vérité… La TV, les migrants…ça pourrait presque faire belle matière perverse et de mauvais goût pour amateurs de téléréalité, non? Oh s’il vous plait non … Bref. Quand, à la médiathèque, ce duo de petites têtes brunes est venu me demander des livres qui parlent de ces gens, là, loin dans leur télévision, loin de leurs esprits, je me suis dis qu’il ne fallait pas les laisser si éloignés, sans vraie matière à réfléchir, à comprendre…..
parce que c’est de la connaissance que nait la compréhension.
En direct de la médiathèque du Tonkin (69)
En Documentaires
Pour commencer, « L’immigration à petits pas » chez Actes Sud Junior me semble être le documentaire qui retrace le plus simplement (accessible dès 6 ans) et avec de nombreuses illustrations les grands flux migratoires de l’Histoire, des invasions barbares aux sans-papiers aujourd’hui. Pour répondre à une des premières naïves questions que l’on m’a posée, sur ces « gens qui vivent dehors » j’ai pensé également à « Comment vit-on sans maison? » chez Tourbillon qui permet grâce à des doubles pages photographies-documentées d’aborder de manière concrète les problématiques du déplacement, du nomadisme et de l’extrême pauvreté sur le sol français…où manger, où dormir, où se laver etc.
« Enfants d’ici, parents d’ailleurs –Histoire et mémoire de l’exode rural et de l’immigration » chez Gallimard (collection Terre urbaine) est un documentaire que j’affectionne particulièrement pour sa mise en avant des familles, nos familles où les branches des arbres généalogiques peuvent nous emmener très loin… Les récits d’enfants et témoignages se mêlent aux repères historiques, économiques, culturels; il y a beaucoup d’illustrations et surtout de photos des Savoyards aux Arméniens en passant par les Algériens, les Yougoslaves, les Espagnols et tant d’autres…!
Pour aller plus loin, je vous conseille le très bien fait, « Vivons ensemble: pour répondre aux questions des enfants sur l’immigration » chez AlbinMichelJeunesse qui fait un bel état des lieux de la France où vivent immigrés, réfugiés, sans-papiers. Les termes sont définis, on aborde tout autant l’enrichissement culturel que les représentations caricaturales; les questions sont bien développées: « Comment compte-t-on les immigrés? » « Qu’est-ce qu’un mariage mixte? » ou « Depuis quand mange-t-on du couscous en France? » et les réponses traitées avec autant de détails sont accessibles dès 10 ans. Il peut très bien convenir aux parents ou tout autre médiateur adulte qui seront confrontés aux questions de leurs têtes blondes, brunes, rousses et autres!
Quelques Romans
Je ne vais rien vous apprendre mais les romans sont quand même une sacrément belle ressource pour découvrir un monde que l’on ne connaît pas! A travers les yeux et la peau d’un personnage, on sursaute en entendant les coups de feu et les sirènes en dehors de la maison, on sent le poids d’une valise, on a mal aux pieds, on frissonne les nuits d’attente, on a la nausée sur un bateau… Partir. Partir de chez soi. De son pays ou village natal. A cause de la pauvreté. De la guerre.
C’est ce que les lecteurs sont amenés à ressentir dans le petit format choc de Janne Teller « LA GUERRE: et si ça nous arrivait? » (On en a déjà parlé dans l’Ouvre-livres ici). Petit format encore avec l’histoire d’un enfant d’origine chinoise scolarisé sur le sol français dont on suit les péripéties lorsque son titre séjour arrive à terme de validité. « La maitresse à pleuré trois fois » de Murielle Szac ancre son récit dans un univers connu des plus jeunes: une classe, une maitresse, des copains et ce parcours de vie qui bouleverse l’ordre des choses. C’est un régal à la lecture, plus abordable que le récit de Janne Teller tout en étant aussi fort en émotions.
On s’éloigne de la guerre comme point de départ, pour balayer toutes sortes de destins exilés… Je vous recommande également le dernier né de Koschka « Le voyage de Fatimzahra » (sorti en 2015) où l’on suit une jeune marocaine venue en France voir de la famille, et qui profite de son mois de séjour pour s’inscrire à l’école. La France vue à travers les yeux d’une jeune étrangère, un portrait des différences de vie d’un pays à l’autre et la difficulté de communiquer quand la langue fait barrière.
De l’immigration, les aspects les plus abordés dans la fiction sont l’exil, le déracinement et le long voyage -souvent chaotique- qui s’en suit en direction d’une terre promise. On pense tout d’abord au magnifique « Le temps des miracles » d’Anne-Laure Bondoux qui nous plonge dans les tumultes de Koumaïl, dit Blaise Fortuné, mineur originaire du Caucase et sans-papier en France. D’ailleurs il y a aussi un super site pédagogique qui va avec! (faut cliquer sur le lien). Fred Paronuzzi, lui nous emmène dans la vie d’une jeune fille maghrébine fuyant un mariage forcé -enceinte et travestie- vers l’eldorado qu’est pour elle l’Europe dans « Un cargo pour Berlin ».
Enfin, pour nous, habitants de Lyon-Villeurbanne la lecture de la biographie d’Azouz Begag » Le Gône du Chaaba » et son enfance dans les bidonvilles de la banlieue lyonnaise des années 60 est un passage quasi obligé…mais je vous conseille l’escale également!
Ces romans me soufflent qu’une petite piqûre de rappel de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme rédigée en 1948 ne ferait de mal à personne… Chose faite grâce au documentaire chez Rue du Monde « Tous les être humains ont les mêmes droits »:
Article 13
1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Du côté des Albums
Les albums sont un peu plus frileux dans l’exercice qui consiste à parler de migrations, d’exil et de populations réfugiées… il me plairait de discuter avec vous du pourquoi du comment ( n’avez vous jamais entendu en librairie « oh bah non, pas ce livre il est trop noir, trop sombre…ça ne s’offre pas » etc etc…à croire qu’un album doit être fait de paillettes, de couleurs vives et d’histoires rigolotes et surtout de filles qui deviendraient chevaliers..oups je m’éloigne. bref), mais arrêtons nous plutôt sur l’histoires des « Vitalabri » signée Jean-Claude Grumberg/Ronan Badel.
Les Vitalabri n’ont pas de pays. Ils sont chez eux partout et nulle part. Surtout nulle part, parce que ceux qui sont nés quelque part et retranchés derrière leurs frontières infranchissables n’en veulent pas… Voilà, cet album pour grands comme on dit dans le jargon ( 9 ans et +) ou roman graphique c’est selon, fait la part belle au long et beau texte de Grumberg et les illustrations de Ronan le sublime avec des traits d’aquarelles chauds, doucement « rétros ». Les Vitalabri sont un peu tout droit sortis d’une fable et deviennent ainsi toutes les familles en exil!
Fable plus poétique et accessible dès 6 ans (mais à expliquer!), l’album « Partir » de Veronica Salinas. Cette fois il est question d’un canard forcé de suivre le vent qui le pousse. Le personnage est délogé sans pouvoir montrer une quelque résistance; il cherche à se rassurer en dialoguant avec d’autres animaux mais les rencontres sont difficiles, se font et se défont… Toute les problématiques de l’immigration: apprentissage de la langue, tolérance, acculturation sont ici racontées en quelques mots choisis.
Dans la catégorie album me vient l’envie d’ajouter deux titres de Valentin Goby extraits de la collection « Français d’ailleurs » chez Autrement Jeunesse où se mêlent récit illustré et cahier documentaire. « Lyuba ou la tête dans les étoiles », que Ronan Badel met une fois de plus en couleurs, nous emmène sur les pas des Roms de la Roumanie à l’Ile de France en suivant la famille de Lyuba dans les camps, les abris de fortune et la mendicité parisienne. « Anouche ou la fin de l’errance » quand à lui , met en lumière le parcours migratoire de l’Arménie à la vallée du Rhône. Les traumatismes du génocide arménien sont ici le lourd bagage avec lequel doit avancer Anouche pour grandir et, coûte que coûte, ne pas perdre de vue le renouveau possible en France.
Un aparté pour évoquer que les collections « fictions documentaires », ou docufiction pour revenir au jargon, sont de plus en plus présentes sur nos rayons et victimes de leur succès… Mais ça, ce se sera l’objet d’un futur article…
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Enfin, si la connaissance des évènements permet d’accéder à la compréhension, c’est parfois quand les « horreurs » arrivent à des gens proches de nous que l’on arrive à se sentir concernés. De ce fait, je vous laisse (et j’espère que de jeunes lecteurs le découvriront également) sur « Mi petit, Mi grand » cette saisissante planche de bande dessinée que Zep, le papa de Titeuf, a mis en ligne sur son blog il y a quelques semaines… Vous l’avez sûrement vu passer sur les réseaux sociaux, si non, je vous invite à cliquer sur le lien ci-dessus direction ses vignettes. Elles ont eu pour moi et certains jeunes lecteurs de la médiathèque l’effet d’un électrochoc!
Et vous, vous en parlez à la maison, à l’école, au CDi, à la médiathèque? Qu’avez-vous trouvé comme documents pour alimenter vos échanges, répondre aux questions…?
mon fils en grande section avait lu le livre « le pyjama de tibili » en classe, l histoire d un petit garçon dont le papa est parti travailler en europe et qui reve d aller le rejoindre
Oui c’est vrai que Tibili est ancré dans cette problématique. L’histoire de « Tibili, le petit garçon qui ne voulait pas aller à l’école » est souvent étudié en classe de CP!
Très bel article. C’est dire qu’il y a un livre jeunesse sur tous les sujets, et surtout ceux d’actualité. Sur le même sujet, il y a aussi « Amé et les bons bonbons » de Sylvie Massicotte 🙂