Lorsqu’on est médiateur du livre, et sans doute tout particulièrement quand on est bibliothécaire comme moi, on aime bien avoir différentes sources pour choisir les documents que l’on va mettre en avant…L’un des endroits du net où j’adore aller fureter et qui me donne toujours de belles idées, c’est chez Gaëlle la libraire, un homonyme tout aussi pétillant que notre Gaëlle à nous!Récemment, elle mettait en avant un très beau titre dans sa rubrique « Un livre par semaine » (idée elle-même empruntée à une autre libraire, This pretty thing pour ne pas la nommer!). Il s’agit pour les libraires bloggueuses de publier la photo d’un livre coup de cœur chaque semaine de l’année… Là, Gaëlle évoquait l’imagier suivant:
Tacalogue de jouets, Nathalie Lété, éd. Thierry Magnier, 2006, 17 €
Déjà, on craque pour le titre qui nous emmène tout de suite en enfance…Le tacalogue de jouets… Oui, oui, vous avez bien lu: TA-CA-LOGUE. En langage barbare littéraire et stylistique, on parle de métathèse lorsqu’il y a une permutation de 2 phonèmes proches mais nous, on retiendra la poésie du langage enfantin comme dans les mots pipallion ou pestacle (qui nous rappelle cette fois l’album d’Ilya Green…).
Pour l’heure, c’est l’univers des jouets qui a attiré notre attention. Nathalie Lété a représenté dans cet ouvrage des jouets de toutes sortes et de diverses époques, qui raviront enfants et adultes. Page de gauche, le nom du jouet et sa traduction en anglais, italien, allemand, espagnol et japonais. A droite, l’illustration pleine page.
Aujourd’hui, on a donc décidé de traiter d’auteurs-illustrateurs qui ont mis en scène grâce à la photographie des jouets dans leurs livres. D’abord, Zazie Sazonoff. Cette plasticienne joue sur l’assemblage d’objets de récupération. Son travail fait penser aux collections bizarres qu’on pouvait faire enfant…

L’alphabet zinzin, Zazie Sazonoff, Fred Chapotat, Mila éditions, 2002, 19,95 €
Dans cet abécédaire, on aime déjà la dédicace, qui nous plonge d’emblée en enfance, puisqu’elle est rédigée à l’aide de pâtes à potage représentant l’alphabet! Et le jeu commence dès les pages de garde. Les premières présentent les lettres en plastique magnétiques qu’on met sur les tableaux ou les frigos. Les dernières reprennent quelques-uns des objets mis en scène dans le livre, agrémentés de l’initiale du mot et en bas de page, les 26 lettres de l’alphabet pour inciter à renouveler le jeu de devinette proposé tout au long du livre. Ainsi, une double page est consacrée à chaque lettre: à gauche, un décor confectionné grâce à des jouets en plastique, des figurines, des cartes à jouer, des pages de livres ou de revues, du matériel scolaire etc et à droite, la lettre, en énorme majuscule centrale puis en écriture cursive ainsi que quelques exemples de vocabulaire, qu’on retrouve bien-sûr illustrés sur l’autre page. A chaque fois, c’est tout un univers qui est crée, le cirque pour le C, la classe, l’école pour le E etc.

Tout en couleur, Zazie Sazonoff, Fred Chapotat, Mila éditions, 2005, 19,95 €
Dans cet opus, ça débute par un sommaire égrenant une liste d’expressions autour des couleurs. Chacune est imprimée dans la couleur à laquelle elle fait référence. A gauche, on retrouve la mise en scène avec de petites choses de la couleur traitée et à droite, un court texte conçu grâce à des jeux de mots et des noms d’objets de la couleur dont on parle. Une foule d’associations d’idées viennent à l’esprit en parcourant ces grandes pages colorées!

L’Album en formes, Zazie Sazonoff, Fred Chapotat, Mila éditions, 2011, 19,95 €
Mise en forme
Vous trouverez à chaque page une liste de mots pour réfléchir, ou pour écrire des histoires, en forme de rond, carré, triangle, rectangle ou étoile.
Cette fois, on s’attaque donc aux formes. On peut dire qu’une sorte de chapitre est consacré à chaque forme, le dit chapitre étant composé de plusieurs doubles pages où chacune met en scène une expression. Par exemple, pour le rond, il y a successivement « rond-point », « rembobine! », »encerclé! », « bulle, envole-toi… », « tout en rondeur ». A chaque fois, une brève histoire nous est racontée et on nous soumet une liste par ordre alphabétique de toutes sortes de mots (préposition, adverbe, verbe, adjectif, nom commun etc)pour créer notre propre récit:
autour, circulation, cycle, faire le tour, gyrophare, pneu, rayonner, recycler, retourner, rond, rondelle, roue, rouleau, rouler, sens giratoire, sens interdit, six, tournant, tourner, virage, volant par exemple illustre l’expression « rond-point ».

L’Album des contraires, Zazie Sazonoff, Fred Chapotat, Mila éditions, 2003, 19,95 €
Dans ce titre là, ce sont les notions contraires qui sont abordées…A découvrir également!

Bouilles, Sarah d’Haeyer, éd. Rita Gada et l’Oeil d’or, 2006, 10 €
Dans Bouilles, on a affaire à des portraits réalisés entre 2001 et 2005 en mode automatique et par grand beau temps dixit Sarah d’Haeyer! Les jouets immortalisés dans cet album sont les témoins d’une enfance certainement révolue…Pourquoi? parce qu’ils sont tantôt écaillés comme les chats Marcel et Asmodée, rayés comme l’éléphant Gédéon, cassés comme ce béni oui-oui à qui il manque un bras de bois, élimés comme la peluche perroquet nommée Paca, délavés comme le chien Otto, tout simplement usés comme Herman, succédané de Spiderman…Ces photos colorées ravivent les souvenirs de jeux passés avec émotion.

C’est qui le petit? Corinne Dreyfuss et Virginie Vallier, éd. Thierry Magnier, 2013, 13,50 €
Pour évoquer cet album empli de subtilité, voici la préface de Corinne Dreyfuss qui divulgue là la démarche qu’elle partage avec Virginie Vallier:
Être petit, devenir grand…
Se faire tout petit, faire comme les grands, être trop petit ou être trop grand,
être le petit dernier ou le plus grand, avoir un petit frère, une grande sœur.
Enfant, petit, tous nos désirs et toutes nos préoccupations nous portent à devenir grand. Grandir, devenir fort, autonome, indépendant. Mais pour cela, il faut d’abord être petit, habiter, se représenter et jouer sa petite enfance. Ce livre conçu à deux présente des couples d’images en miroir qui nous entraînent dans un jeu de perspectives, de projections. Les images, toujours liées à l’enfance, inspirées de comptines, contes et jeux, posent questions, mettent en abîme, tiennent à distance, s’amusent de ces notions de petit et de grand qui se révèlent imaginées, construites, appropriées, relativisées, déjouées.
C’est quoi être grand?
Comme un petit atelier de philosophie, C’est qui le petit? invite petits et grands à analyser, argumenter, produire et comprendre des idées en partant de ces simples notions. Chacun peut inventer la règle de son propre jeu, choisir ce qui définit le grand ou le petit. Et pourquoi pas répondre aux questions:
C’est qui le petit?
C’est quoi être grand?
En fin d’ouvrage, vous trouverez une sorte de sommaire indiquant les notions/expressions en jeu pour prolonger la discussion.

Bric-à-brac, Maria Jalibert, Didier Jeunesse, 2013, 19,90 €
Enfin, il y a ce Bric-à-brac signé Maria Jalibert. On reprend ici la chronique de Delphine Juthier sur le site Ricochet dont on partage l’avis enthousiaste:
Avec Bric-à-brac, Maria Jalibert nous fait visiter un véritable petit musée. Cet imagier original et nostalgique donne une nouvelle vie aux vieux jouets de son enfance autant qu’à ceux d’aujourd’hui.
L’imagier est donc plutôt une excuse pour s’amuser à ranger et déranger toute sa collection, un méli-mélo de petits jouets, le plus souvent en plastique : avions, voitures, petits animaux, dînette, cow-boy et indiens, poupées, araignées ou bijoux, ce petit monde est plutôt éclectique. Elle les classe par couleur ou par forme, elle les range en lignes ou en rond, elle les associe avec ou sans logique… Bref, elle nous promène à sa guise parmi des concepts formels en apparence, mais qui en fait ne manquent pas d’humour et de fantaisie.
Il y a d’abord des jeux de mots ou de lettres : orange rangé, rose désordre, vert endroit envers. Ici, les jouets choisis illustrent en même temps chacun des deux concepts (la couleur, et l’organisation dans la page). Puis elle nous amuse avec la séquence « devant/derrière ». Celle-ci montre sur la première page des petits poupons de face avec une couche, et sur la deuxième les mêmes bébés de dos sans couche, ce qui provoque bien évidemment des éclats de rire chez les petits. Elle nous surprend avec ses combinaisons insolites et déjantées, comme ses cochons perchés dans des arbres ou les moutons qui côtoient des boutons. De façon ludique (littéralement !), elle dédramatise certains tabous, celui de la mort ou de la bagarre. Par exemple, sa séquence « en l’air/sous terre » est assez jouissive, puisqu’elle évoque l’univers de la décomposition à travers les jouets qui « vivent » sous terre : squelettes, chenilles, mille-pattes ou vers de terre. Une autre trouvaille est son « bazar de A à Z », dans lequel elle classe par ordre alphabétique toute une variété de jouets.
Cet album, qui nous paraît bien simple au premier abord (un imagier pour les tous petits), étonne et détonne, grâce au regard singulier de cette illustratrice. C’est bien un de ces ouvrages qu’on peut lire et relire à tous les âges, un livre pour regarder, observer, décortiquer. On y sent des odeurs d’enfance, des plaisirs de collectionneur passionné, des petits trésors sans valeur que l’on a envie de garder dans un coffret… Même les jouets cassés, ces objets inutiles destinés au rebut, ressuscitent à la fin de cet album, ne serait-ce que pour la dernière fois. Une vraie réussite !
Toutefois, tous les livres utilisant les jouets dans leurs illustrations ne sont pas systématiquement des formes d’imagier, pour preuve cette interprétation des Trois petits cochons déjà évoquée là! Vous avez d’autres exemples? On attend vos commentaires!
