Ahhhh…la fameuse histoire du soir ! Si nos chères têtes blondes la réclament inlassablement nuit après nuit c’est parce qu’en plus de les divertir, elle leur procure un indispensable sentiment de sécurité. L’être humain vit selon divers rythmes et « puisque nous sommes des individus cycliques, régulés par toute une série d’horloges intérieures qui nous sont personnelles », la mise en place de certains rituels va permettre au bébé de surmonter ses angoisses et aux parents de passer un moment privilégié avec l’enfant. Ces rituels peuvent être de natures différentes mais celui du coucher et de l’endormissement s’avère bénéfique pour plusieurs raisons. Déjà, il constitue un point d’ancrage du sommeil de nuit et de sa tranquillité mais surtout, il est un temps de relation, déclarent Marie Thirion et Marie-Josèphe Challamel dans Le Sommeil, le rêve et l’enfant (Albin Michel, coll. « Bibliothèque de la famille », 2011, p. 191 et 196) :
« Le coucher du soir est un temps spécifique consacré à l’enfant, à chaque enfant dans une famille. Moment de présence d’un ou des parents, moment de dialogue pour raconter ce qui s’est passé dans la journée, pour parler de la nuit qui vient et du repos, pour démystifier les craintes du soir, relativiser les soucis, calmer les angoisses qui surgissent avec la nuit, évoquer le réveil et les charmes du lendemain. Certains signes ne trompent pas quant à la disponibilité que nous pouvons offrir : le simple fait de s’asseoir à ses côtés a sans doute plus d’importance que le temps que nous lui consacrons ».
Vers six ou huit semaines, on peut commencer à instaurer un rituel chaque soir composé de gestes routiniers qui vont rassurer le tout-petit tels que la prise du bain, la mise en pyjama, le brossage des dents, le câlin, le jeu, l’écoute d’une chanson, d’une berceuse ou d’une comptine… ou la lecture d’une histoire. Ces activités doivent apaiser le bébé et amener un temps calme, serein et plaisant pour toute la famille. Ce rituel nocturne est indispensable car pour l’enfant, dormir, c’est mourir un peu. Il apparaît alors comme un moment clé représentant un sas entre le jour et la nuit et atténuant l’épreuve de la séparation. Voici une petite sélection destinée à cette lecture vespérale centrée sur la Lune.
La figure lunaire intrigue et rassure tout à la fois l’enfant dans de nombreux livres sans oublier les chansons et comptines telles « Au clair de la lune ». Héros souvent convoqué dans les histoires du coucher car parfaitement approprié pour tranquilliser le tout-petit, l’astre symbolise les rythmes de la vie de par les différentes phases qu’il traverse et ses changements de forme (les quartiers croissant puis décroissant, la pleine lune). Ceux-ci marquent le temps qui passe par ses étapes successives et régulières. Sa lueur est un point de repère dans le bleu de la nuit qui lorsqu’elle s’assombrit amène dans le monde du rêve…
Bonsoir lune, Margaret Wise-Brown, Clément Hurd (ill.),
L’École des loisirs, 1983, 11,20€

Initialement publié aux États-Unis en 1947, cet album incontournable est devenu un classique. Le texte est scindé en deux : dans un premier temps, il y a un inventaire des objets semés dans la chambre puis dans un second temps, le lapin les salue un à un ; il commence par les objets familiers et termine par les éléments extérieurs. Ici, le rituel du bonsoir permet d’apprivoiser le moment du sommeil. Le temps est mis en relief d’un côté par l’énumération du texte et par le travail sur les couleurs. L’alternance des pages colorées et des pages en noir et blanc peut signifier le passage du monde réel à celui du rêve dans lequel va se plonger le petit lapin en s’endormant alors que le contraste des couleurs chaudes et froides lui, peut exprimer l’ambivalence des sentiments enfantins, oscillant entre l’angoisse et le calme… À noter également, l’assombrissement progressif de la pièce face à l’éclaircissement de la fenêtre marquant l’avancée de la nuit sans oublier la présence de l’horloge, familière des plus grands…

Bonne nuit mon tout-petit, Soon-hee Jeong,
Didier Jeunesse, 2008, 12,90 €

Dans la même lignée, il faut lire Bonne nuit mon tout-petit reprenant une berceuse populaire coréenne adaptée par Michèle Moreau qui a su conserver une mélodie textuelle. La nature elle aussi connaît le repos et le chant entonné par la maman est une véritable ode à sa beauté. La promenade nocturne amène son bébé à s’endormir après s’être arrêté près des abris des différents animaux vivant autour de leur maison. Ce récit randonnée avec son schéma répétitif ravit l’enfant capable de deviner à l’avance ce qui va se passer ! Quant aux illustrations vaporeuses exécutées à l’aquarelle sur un doux camaïeu de bleu et de vert, elles viennent représenter graphiquement ce sentiment de pénétrer dans les brumes du rêve enfantin…

Que fait la lune, la nuit ? Anne Herbauts,
Casterman, 1998, 14,95€
Dans cet album grand format, on a affaire à une véritable personnification de la lune en cette petite bonne femme encapuchonnée dont les quartiers sont représentés par son visage :

« Je voulais parler de la nuit. Et la reine de la nuit, c’est un peu la lune. Madame la Lune. Quel personnage étrange et silencieux. Ronde ou borgne, juste un cil. Blanche ou rousse. Elle me paraissait lointaine et à la fois si nette. Le silence mystérieux de l’obscurité ressemblait à la présence muette d’un chat sombre et attentif. Je voulais parler de la nuit. Alors, j’ai habillé la lune, sa capuche blanche nouée sous le menton ; j’ai dessiné son chat aux pattes de velours, quelques étoiles à l’infini… Je les ai promenés tous deux sur la ville qui dort, avec la nuit, au fond, profonde et sereine. »
Dédicace d’Anne Herbauts pour France Inter le 11 décembre 1998
L’album offre une succession de doubles pages sombres où seul le bienveillant visage de la lune vient éclairer l’histoire. Ce n’est qu’au lever du jour qu’elle s’endort et que l’on retrouve notre page blanche…Le texte bref proche de la comptine suffit à rendre compte des missions poétiques de la dame lunaire : dessiner les milliers d’étoiles, enlever les brumes des prés, chasser les bruits des villes, fermer volets et rideaux, semer les rêves et enfermer les cauchemars, mettre la rosée…entourer la nuit de ses mystères !

Dix cochons sous la lune, Lindsay Lee Johnson, Carll Cneut (ill.),
La Joie de lire, 2011, 15 €
Lorsque la lune est pleine, l’aventure est au rendez-vous alors les dix petits cochons s’enfuient par la fenêtre de leur chambre… Là encore, on découvre de subtiles représentations du paysage nocturne sous le pinceau du flamand Carll Cneut qui joue avec les couleurs pour signifier le passage de la nuit au jour.
D’abord, on fait connaissance avec les dix jeunes protagonistes grâce aux pages de garde d’ouverture bleu nuit. Ensuite, la lune et les fenêtres éclairées demeurent les seuls points lumineux qui permettent de détacher la fratrie. On observe ainsi un net contraste entre le premier plan où les cochons s’amusent et l’arrière-plan dans la pénombre et ce jusqu’au moment où les nuages viennent cacher l’astre lunaire. Là, les cochons sont plongés dans le noir…et le jeune lecteur aussi ! Heureusement, Maman vient à la rescousse et rapporte de ce fait la clarté sur la dernière double page ainsi que sur les pages de garde de clôture jaunes en raison du lever du jour. Le texte évolue également en chœur avec la lune : il s’étale sur des aplats bleus à l’intérieur et sur des aplats noirs à l’extérieur et prend différentes teintes selon la luminosité… Ce même texte dont on apprécie le rythme enlevé grâce aux rimes embrassées, aux anaphores et aux amusantes interrogations ! Cet album riche en détails (que l’enfant découvrira au fil des lectures) croit en l’interprétation des tout-petits : il suggère une réflexion sur la peur du noir mais aussi sur la désobéissance des enfants. On adore la mise en abyme où l’un des cochons tient un livre qui semble bien reprendre leur propre fugue!


Mon AB CD des berceuses, Françoise Tenier, Luce Dauthier,
Gründ, 2012, 12,95 €
L’énonciation à voix haute de l’album sied parfaitement au bébé qui possède déjà une excellente ouïe contrairement à sa vue qui se développe au cours des semaines. On dit souvent qu’une chanson écoutée fréquemment pendant la grossesse apaise le petit, voilà avec ce recueil de quoi diversifier les écoutes !
Ce livre-lu a été illustré à quatre mains par Joanna Boillat et Elodie Nouhen tandis que les berceuses ont soigneusement été sélectionnées par Françoise Tenier, bibliothécaire et interprétées par Luce Dauthier dont le travail est tout particulièrement tourné vers les tout-petits. Le plus : les illustrations oniriques dévoilant les multiples facettes de la nuit !


Le calme de la nuit, Virginie Aladjidi et Caroline Pellissier, Emmanuelle Tchoukriel (ill.), Thierry Magnier, 2012, 13,50 €
Chut…Il est l’heure de dormir. La nuit tombe. Doucement, elle enveloppe la forêt. Dans ce décor feutré et obscur, chaque animal qui la peuple retrouve son petit sur la page suivante où seule la tonique orange dévoile la chaleur des familles sur le point de s’endormir.
Ici, le texte pourrait être énoncé à la façon d’une berceuse et l’italique utilisé pour l’expression qui revient comme un refrain « Chut, dors…mon chéri, ma merveille, mon grand, mon enfant » matérialise bien le doux chuchotement exercé par le parent au creux de l’oreille attentive de l’enfant !

La lune et les étoiles blanches présentent page après page apparaissent là telle la rassurante veilleuse se trouvant dans la chambre de bon nombre de tout-petits ; clin d’œil peut-être à la lune de Tomi Ungerer dans Les Trois brigands dont on retrouve aussi le hibou perché sur sa branche, oiseau nocturne par excellence…


Ainsi, les histoires du soir mettent en scène plusieurs thèmes mythiques de la culture enfantine à l’image de la lune, du hibou, du marchand de sable, ou encore du compte des moutons qui permettent de matérialiser les mystères de la nuit. Ces albums sont l’occasion de nouer une belle complicité entre parent et enfant et sont autant d’invitations littéraires à rejoindre les bras de Morphée, nuit après nuit…