« Voici Kurt. Il est conducteur de chariot élévateur transpalette. »
Ainsi débutent toutes les aventures de notre héros moustachu, vêtu de son éternelle salopette de travail.
Cet article aurait du voir le jour il y a bien longtemps tant mon admiration pour cette série et son auteur sont grands. Sujet de mon mémoire de M1, (lisible ici) la série en question n’a pas vraiment de nom mais j’ai pris l’initiative de la nommer Kurt en hommage à son héros éponyme.
« Tout de même, quelle idée de proposer une série sur un conducteur de Fenwick… Et puis ces drôles de dessins en noir et blanc on dirait des dessins d’enfants ».
Là, j’anticipe les remarques à venir qui sont quasi obligées. Pour l’idée, je dirais et vous comprendrez plus tard pourquoi, qu’un Fenwick c’est aussi un moyen de transport et que nos héros ont sacrément la bougeotte.
Pour les dessins, c’est pas moi qui les ai faits, adressez vos remarques à Kim Hiorthoy, artiste norvégien multicartes qui vient tout juste de célébrer ses 40 ans. Si vous voulez savoir ce qu’en pensent les enfants, ils parlent de Kurt dans ce truculent article.
Écrite par l’auteur norvégien Erlend Loe, traduite en français par le très fort Jean-Baptiste Coursaud qui tient lui aussi un blog incroyable (pour adultes) tenu en plusieurs langues selon les jours qu’on trouve en allant par là, elle est publiée par La Joie de lire depuis 2006.
Présentons brièvement ce bijou : Kurt est conducteur de Fenwick sur un port en Norvège et aime son métier passionnément. Il bichonne son Fenwick et des fois sa femme Anne-Lise qui est architecte. Kurt n’apprécie pas les amis riches de sa femme qui sont docteurs ou architectes. Cette jalousie va mener Kurt à faire n’importe quoi (mais alors n’importe quoi) dans le tome 3 Kurt Quo Vadis ?
Ces deux foufous ont eu ensemble 3 enfants : Helena qui au début est très maigre et à la fin très grosse à cause du gros poisson du tome 1 Kurt et le poisson. Mais elle reste grosse dans les autres tomes car elle aime ça, finalement. Deux garçons complètent ce tableau. Kurt soda appelé ainsi à cause de son addiction aux sodas et le plus jeune nommé Bud en hommage à une série télé américaine qu’Anne Lise aime bien. Bud n’a pas d’âge… Ou en tout cas on ne le connaît jamais. Par contre il est intelligent, bien plus que son père. Et l’une des caractéristiques de la série est l‘inversion des rôles entre le père et son jeune fils.
Tout ce petit monde vivra dans chaque tome une aventure indépendante dont le héros sera Kurt. Celui-ci se fait toutefois vaguement voler la vedette par son surdoué de petit dernier. Et il aime pas ça, Kurt.
Les caractéristiques principales de cette série sont les suivantes : atypique, humoristique, elle mêle habilement humour et thèmes de société. Dans chaque volume l’auteur va « s’attaquer » à la société norvégienne et en dresser tous les défauts. Racisme, Fanatisme religieux, Argent, Politique… Ces thèmes seront, au cours des aventures de Kurt, disséqués par la plume de Loe qui n’hésite pas à se moquer ouvertement de son pays. Ces romans font cependant beaucoup rire de ces travers et ne sont jamais tristes. Si tout cela est traité sur un mode parodique, les thèmes abordés font bel et bien partie des aspects négatifs des sociétés scandinaves (et d’autres sociétés). En cela Loe ne se démarque pas des auteurs nordiques réputés pour leur noirceur. Je pense là à Janne Teller dont le roman Rien a été évoqué sur ce blog et représente pour moi le sommet de la noirceur dans un livre pour ados.
Là, nulle doute que les histoires finissent toutes bien. Même celles dans lesquelles Kurt devient complètement zinzin… C’est le cas dans Méchant Kurt, où son gain subit d’argent le rend complètement stupide et méchant ou encore dans Kurtville où il subit l’influence d’une secte et se transforme en un pasteur intégriste prêt à tuer sa femme.
Au vu des thèmes traités on peut s’étonner de l’âge que je cite en tête d’article. Il est vrai que l’on a de quoi disserter à ce propos ! Le premier volume intitulé Kurt et le poisson est de loin le plus accessible, selon moi dès le CE2. Kurt et sa famille, suite à la découverte d’un gigantesque poisson, partent en voyage autour du monde en chargeant toute la famille dans le Fenwick, lui-même posé sur le dos du poisson… Et l’on mange le poisson au fil des jours et il rapetisse, rapetiss, rapetis, rapeti, rapet, rape, rap… Bref, bientôt il n’y a plus que les arêtes.
Les deux tomes suivants peuvent être lus dans la foulée même si foule de détails semés par l’auteur à destination des adultes (ou des enfants méga hypra intelligents) ne seront pas vus par les plus jeunes. Mais ça n’empêche rien.
Le tome 4 Kurt à la tête en cocotte-minute me semble déjà plus difficile. Une fois encore Kurt meurt de jalousie ! Mais cette fois ci ce ne sont pas les richissimes collègues de sa femme qui l’angoissent mais un container entier de sans-papiers dont elle décide de s’occuper vaillamment. Kurt apprécie moyennement que sa petite femme chérie se mette à tricoter nuit et jour pour ces Bengladais mal nippés.
Le tome 5 Kurtville monte encore d’un cran en traitant sans tabou du fanatisme religieux. Kurt y vire pasteur, change de femme pour l’occasion, veut même faire zigouiller la sienne impie. Grand moment de lecture ! Mais pas sûr que les plus jeunes y comprennent grand chose.
L’ultime tome traduit Kurt courrier de cabinet est davantage un grand roman d’aventure qui débute par la séparation du couple mythique. Tandis qu’Anne Lise doit se rendre 5 semaines à une conférence d’architectes, Kurt doit porter un important message dans le nord du pays. Aucun des deux ne veut céder et rester à la maison. La Norvège est alors en guerre civile ! Cette parodie de Michel Strogoff longue de près de 400 pages alors que les autres romans sont vraiment riquiquis est à mon sens plutôt à réserver aux 11-12 ans minimum.
Ce n’est qu’un bref aperçu d’une série INJUSTEMENT méconnue que je recommande à tous. Je rappelle au passage que Kurt et le poisson a reçu le Prix Tam-Tam en 2006 et que ce n’est pas rien.
Lisez Kurt ! S’il vous plaît.