Pendant une semaine, du 14 au 20 octobre, en amont et pendant le festival du voyage Le Grand Bivouac, les bibliothèques du territoire d’Albertville et sa région (73) orchestraient pour la 7ème année consécutive, les Littératures Voyageuses. Durant la semaine, les bibliothécaires organisaient un véritable périple : à chaque soirée un lieu et un voyageur. Car sur leurs chemins de traverse, les auteurs montrent parfois l’envers du décor au travers de leur aventure…
Cette année, des voyageurs témoins d’un monde que certains experts disent en crise, alors que d’autres y voient un bouleversement profond et inéluctable étaient à l’affiche sous la bannière « Nouvelles routes, nouveaux mondes ». Pas de route mythique ni extrême. Les invités voyageurs, curieux d’explorer le réel qui nous échappe parfois, ont emprunté des chemins inédits. Par leurs récits, ils ont offert un large panorama des réalités économiques, sociales, culturelles, géographiques d’aujourd’hui. A chacun sa façon d’en rendre compte : récits de voyages, chroniques d’ethnologue, polars, contes, histoires imaginaires…
Oui, le monde bouge et nos repères se modifient. L’Ouvre-livres souhaite ici revenir sur la participation à cette édition 2013 de François Place, auteur et illustrateur pour la jeunesse et dont l’œuvre interroge tout particulièrement cette société mouvante. Il a ainsi côtoyé des scolaires (Collèges et Lycées du territoire de la Co.RAL) puis à ouvert grand la porte sur son travail lors de la rencontre du samedi suivie d’une dédicace.
Depuis son plus jeune âge, François Place est passionné de géographies, de voyages et d’histoires d’explorateurs. Ses premières illustrations paraissent dès 1985 chez Gallimard Jeunesse; il s’agit de documentaires (Le livre des navigateurs, Le livre des explorateurs et Le livre des marchands). Son premier texte paru en 1992 est l’album Les derniers géants, récompensé à plusieurs reprises.

Au XIXème siècle, sur les docks de Londres, Archibald Leopold Ruthmore acquiert une dent de grande taille qui serait une dent de géant. Au bout de quelques années de recherche, il conclut avec certitude que ces fameux géants existent bel et bien. Sans hésiter, il part à leur recherche…
Amorcé dans son premier album, il développe son art de la cartographie dans la trilogie l’Atlas des géographes d’Orbae, édité chez Casterman entre 1996 et 2000.

1. Du pays des Amazones aux Îles Indigo, 1996
2. Du pays de Jade à l’île Quinookta, 1998
3. De la rivière rouge au pays des Zizotls, 2000
L’Atlas des géographes d’Orbae se compose de 3 albums illustrés présentant 26 récits tantôt contes, légendes ou relations de voyages. Ils évoquent 26 contrées imaginées à partir de 26 cartes, elles-mêmes conçues à partir des 26 lettres de notre alphabet. On les lit posés à plat sur une table comme on compulserait des grimoires anciens…
Son premier roman, lui, a été publié chez Gallimard Jeunesse en 2010 et s’intitule La Douane volante.

Bretagne 1914. La guerre menace. Une nuit, la charrette de la mort conduite par l’Ankou s’arrête devant la maison de Gwen le Tousseux, jeune orphelin apprenti guérisseur. Quand Gwen se réveille, il est passé de l’autre coté, dans un monde comme surgi du passé. Dans ce pays étrange, effrayant mais fascinant, dominé par la douane volante, une sorte de police aux pouvoirs immenses, il va vivre des aventures extraordinaires. Gwen l’Égaré parviendra-t-il à retrouver sa terre natale ou son destin sera-t-il jamais lié à JØrn, le redoutable officier de la douane volante? Roman d’aventures empreint de fantastique saupoudré de fond historique, ce texte emmène dans un lieu et un temps incertain mais singulier, ni Bretagne réelle ni Pays-Bas fictifs où le lecteur baigne d’abord dans la mer puis dans les fleuves et les canaux et explore au fil de l’eau.
François Place collabore également avec des écrivains en illustrant des romans et/ou des premières de couvertures; celles de Timothée de Fombelle ou de Michael Morpugo par exemple.
En guise de mise en bouche, le public a pu découvrir en images le monde qu’il propose dans ses albums et romans, à la frontière du réel et de l’imaginaire. L’exposition a été conçue à partir de l’édition spéciale du coffret Le Secret d’Orbae. Celui-ci est composé de 2 récits, d’une carte et d’un portfolio. L’un des textes est centré sur Cornélius, un jeune marchand rencontré dans les Îles Indigo (récit issu de L’Atlas des géographes d’Orbae, tome 1, « Du pays des Amazones aux Îles Indigo ») où débute sa fascination pour la « toile de nuage » et l’île d’Orbae d’où elle provient, destination pour laquelle il s’engage aussitôt. Dans le roman, c’est ce voyage qui est narré et le lecteur reconnaîtra d’autres lieux déjà évoqués dans L’Atlas: pays de Jade et des Amazones, désert des Pierreux, île d’Orbae… L’autre roman est consacré à Ziyara, femme amiral de la flotte du Golfe de Candaâ (personnage également découvert dans le premier volume). Sorte d’Ulysse au féminin, son parcours s’apparente à la route des épices. Pour ne pas trop en dévoiler sur l’intrigue, on précise simplement que les 2 héros vont se retrouver ensemble sur Orbae dans le mystérieux palais des cartes. Et s’ils tombaient amoureux?


Le Secret d’Orbae, François Place, Casterman, 2012
Le portfolio qui accompagne les 2 ouvrages offre des croquis nouveaux et retrace la progression de nos jeunes protagonistes. Les 18 planches peuvent se lire avant, pendant ou après les romans, au gré du lecteur…et viennent habilement compléter notre vision de l’Atlas.

Comme chacune de ses interventions est différente, François Place a débuté celle-ci par la lecture des premières pages du Secret d’Orbae pour emmener au plus vite les spectateurs dans l’histoire (quelques extraits vidéos seront prochainement en ligne sur le site des médiathèques Co.RAL). Cette rencontre ainsi que les lectures des ouvrages ci-avant et ci-après cités ont suscité quelques réflexions jetées ici comme des bouteilles à la mer sur l’océan web…
Lorsqu’on se plonge dans les ouvrages de François Place, on a affaire à des livres de « légendes », au double sens du terme comme le souligne l’auteur lui-même:
– la légende renvoie au récit, au mythe, au conte, à l’imaginaire en somme (même si les événements relatés ont pu avoir une base historique ou réelle)
– la légende désigne cette mention portée sur une illustration, une gravure, une carte ou un plan et ce afin d’en faciliter l’intelligence, de dissiper tout risque de lecture erronée
C’est là que se noue cette tension caractéristique de François Place entre réel et imaginaire et que naît l’alchimie de son oeuvre. Il pointe du doigt les nuances entre la fiction-documentaire et le documentaire-fiction (on vous invite à ce propos à lire la communication de Liliane Cheilan « Voir du pays dans les livres en images: fiction-documentaire contre documentaire-fiction » issue de la journée d’études Si loin, si proche…Voyages imaginaires en littérature de jeunesse et alentour). Sous couvert de lieux et de peuples imaginaires, le lecteur est amené à se questionner sur sa propre société. Cela nous amène à nous demander s’il n’y a pas actuellement une plus grande liberté formelle dans l’édition pour la jeunesse qui accorderait une large part aux ouvrages hybrides, atypiques car à l’exception de petits éditeurs, du secteur de la BD et du roman graphique voire carrément de l’autoédition, peu de livres d’images adressés aux adultes émergent…
En ce qui concerne la réception du public, plusieurs éléments se détachent. D’une part, les cadrages souvent en plan éloigné ou général octroient une certaine distance lors de la lecture. Est-ce un choix délibéré pour que le lecteur exerce son esprit critique en repérant ses propres détails parlants, qu’il aille fouiller l’image fourmillante? D’autre part, dans l’Atlas, différents points de vue coexistent, se confrontent, s’affrontent… On peut ainsi être tantôt à la place d’un peuple conquis, tantôt à la place d’une nation conquérante. Toutefois, on est curieux de savoir comment sont reçus les albums, si les enfants et les adolescents se montrent soucieux de l’Autre, dans l’empathie? Dans un article de Danielle Dubois-Marcoin (de la Revue des livres pour enfants n°254), François Place dit: « L’afflux des images télévisuelles émousse notre curiosité et notre naïveté ». Alors face à des jeunes parfois loin de l’objet-livre et fréquentant quotidiennement l’écran, font-ils le rapprochement et prennent-ils du recul entre le propos de François Place et certains programmes télés tels que la série documentaire Rendez-vous en terre inconnue dont le concept se résume à ce qu' »une personnalité s’envole vers l’inconnu et ne découvre la destination qu’une fois dans l’avion. Elle rejoint quelqu’un qui l’attend quelque part sur la planète, pour lui faire découvrir un autre mode de vie. Mettre en lumière et entendre la parole d’hommes et de femmes qui vivent dans des zones particulièrement reculées, comprendre leur culture, leur religion, partager leur vision optimiste du monde » lit-on sur le site de France 2. D’ailleurs, François Place a déjà évoqué la question du virtuel (dans sa conclusion lors de la journée d’études Si loin, si proche…Voyages imaginaires en littérature de jeunesse et alentour) en tant que nouvel élément venant s’intercaler entre le réel et l’imaginaire. Ce jeune public n’est-il pas davantage motivé par la sphère virtuelle (qui lui offre la possibilité de multiplier les personnalités grâce aux avatars webs) que par la portée de l’imaginaire? Si les genres de l’imaginaire (science-fiction, fantastique et fantasy) attirent encore énormément, ils stigmatisent pourtant en jouant sur une typologie des êtres (elfes, trolls, démons, fées etc) où sont associés des caractères psychologiques et moraux à des traits morphologiques. Cela incline à penser qu’il pourrait y avoir une « sous-humanité », une « sur-humanité » et une humanité « moyenne » affirme François Place (dans un entretien accordé à Brigitte Andrieux et Annick Lorant-Jolly dans la Revue des livres pour enfants n°254). François Place, lui, malgré le caractère imaginaire de son oeuvre, soumet au lecteur des personnages humains, avec toute leur ambiguïté et leur ambivalence, incitant l’enfant à réfléchir sur cette condition humaine… Enfin, on voulait mettre en relief le motif du corps omniprésent dans les livres, soit sous la forme de la voix, bégayante ou muette (Les Derniers géants), soit directement sur le corps tatoué (Les derniers géants), portant les stigmates de l’esclavage (La fille des batailles) ou les cicatrices de la misère (La Douane volante). Il apparaît alors que ce corps humain devient un témoignage d’une vie, d’une époque aussi, de l’histoire d’une civilisation même ; comme c’est le cas dans son dernier album Le Sourire de la montagne au travers de l’analogie de la statue.

Le Sourire de la montagne, François Place, Gallimard Jeunesse, 2013
A quand une projection de notre société occidentale dans la course folle de la carte au trésor?
Afin de prolonger la visite dans l’univers de François Place, voici quelques références autour de son œuvre :
La presse jeunesse s’intéresse à François Place
Revue des livres pour enfants n°254 septembre 2010 consacré à François Place
Vous pouvez (re)lire l’intégralité des articles ici.

Entretien sur le blog de la revue Lecture Jeune, mars 2012
En ligne ici.
Virgule n°106 avril 2013. Entretien avec François Place

Les universitaires s’intéressent à François Place
Face aux critiques de la presse et des professionnels du livre, aux regards des enseignants, aux remarques des enfants et des lecteurs en général, les réactions des auteurs sont multiples: intérêt, indifférence, colère se côtoient. Au regard des minutieuses recherches documentaires qu’entreprend François Place en phase de création, nombre d’universitaires s’intéressent à ses livres qu’ils s’agissent de chercheurs en histoire ou en géographie et évidemment en littérature et en graphisme. On se demande donc ce que peuvent inspirer ces travaux à l’auteur-illustrateur et s’il lit les dits articles d’autant qu’il a ponctuellement accepté de participer à des journées d’études.
=> Chronique de littérature de jeunesse « A la découverte de l’Atlas des géographes d’Orbae de François Place », Mathilde et Eric Barjolle, Le français aujourd’hui n°133 2001. En ligne ici.

=> Si loin, si proche… Voyages imaginaires en littérature de jeunesse et alentour, journée d’études 23 mai 2007 à la bibliothèque de Valenciennes. Actes en ligne ici.

=> Cartes et plans dans les albums et romans pour la jeunesse du XIXème au XXIème siècles: paysages à construire, espaces à rêver, Cahiers Robinsons n° 29, 2010. Sommaire ici.

=> Ici et ailleurs. Avec François Place, sous la direction de Serge Martin, L’Atelier du grand tétras, 2012. Contenu détaillé ici.

=> Plus spécifiquement sur la cartographie, il y a le chapitre IV « Cartes imaginaires et dérives imaginaires » dans L’Empire des cartes, approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Christian Jacob, éd. Albin Michel, 1992
Un atlas imaginaire: cartes allégoriques et satiriques, Laurent Baridon, Citadelles et Mazenod, 2011

A travers la présentation de cartes allégoriques ou satiriques, cet ouvrage montre comment la cartographie, du XIVème siècle à aujourd’hui, a été le support d’une imagination puis est devenue l’enjeu d’une symbolique visuelle, utilisant des personnages emblématiques, la faune ou la flore pour représenter le contexte politique d’un pays ou pour caricaturer des pays voisins et rivaux.
=> Pour élargir le sujet, consultez La littérature de voyage pour la jeunesse : les enfants de Xénomane, Patrice Favaro, Thierry Magnier, 2009

Bonus
=> François Place, illustrateur : ou comment s’invente un livre ?, François Bon, Casterman, 2000

Reprise d’un ouvrage réalisé à l’occasion d’une exposition consacrée à cet illustrateur en 1994. Cette édition est accompagnée d’un post-scriptum plus spécialement axé sur L’atlas des géographes d’Orbae.
=> Exposition 28°W lors du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil en 2012 sur le thème « C’est l’aventure ». Parmi les 10 folies et donc les 10 artistes invités, François Place
Immersion détaillée dans la passion de François Place pour l’exploration du monde, la cartographie et les belles histoires avec ses aquarelles, ses recherches documentaires et ses carnets de croquis.
=> Le DVD Explorateurs de légendes dont on avait déjà causé là. Le dispositif pédagogique est lisible en ligne ici.

=> Le DVD de la collection « Histoires d’illustrateurs » avec Rebecca Dautremer et François Place, films documentaires réalisés par Thierry Mercadal, 2008

Tous les enfants ont un jour lu un album illustré, chanté une chanson, lu un livre en écoutant une musique, regardé un film d’animation, joué à la poupée, à un jeu de société ou à un jeu vidéo. Mais qui sont les auteurs de ces objets familiers qui restent en mémoire et qui nous touchent encore dans notre vie d’adulte ? Comment font-ils pour créer ces objets auxquels les enfants sont si attachés et qui les font rêver ? Cette collection de documentaires nous fait entrer dans l’univers de ces créateurs et nous fait découvrir la personnalité de l’auteur, son univers, son processus de création et son cheminement. Pour rendre accessible aux jeunes spectateurs cette notion complexe, cette collection s’appuie sur des créations familières et facilement identifiables.
=> Le Musée du Louvre raconté aux enfants, page sur laquelle François Place a travaillé aux animations…
En écho à l’oeuvre de François Place
=> La bibliographie des Littératures voyageuses 2013
D’autres auteurs/illustrateurs et leurs univers imaginaires…
=> Pamukalie, pays fabuleux: vrai guide d’un pays surréel, Eugène, Autrement, 2003
Qu’est-ce que la Pamukalie? Réponse: une nation imaginaire coincée entre la Turquie et la Syrie mais qui ne demande bien-sûr qu’à exister. Cartes, photos, anecdotes historiques ou encore adresses de restos sympas, musées, bars branchés, musées, hôtels ou salons de thé figurent dans ce guide improbable. Page après page, c’est un pays fictif qui se construit sous nos yeux….
=> Les Cités obscures, Benoît Peeters et François Schuiten, Casterman, 1983 + Le Guide des cités

L’univers des Cités obscures pose cette réalité: une autre Terre se situe de l’autre côté du soleil, invisible car dans son axe. Là-bas existent plusieurs cités à l’esthétique et à l’organisation différentes. Si ces cités (Samaris, Urbicande ou Xhystos par exemple) semblent repliées sur elles-mêmes, n’ayant que peu de relations et d’échanges avec les autres, il arrive que certains personnages de la série passent d’une Terre à l’autre physiquement ou psychiquement. Il n’existe pas énormément de cités sur ce monde quelque peu désertique mais d’étranges phénomènes s’y produisent…
=> trilogie Le bibendum céleste + New York sur Loire, Casterman, 2005 Nicolas de Crécy

New-York-sur-Loire, capitale de tous les excès : excès génétique, architectural, géographique. Excès de pouvoir, excès d’assurance, excès de sébum et excès de vitesse. Ville excitante, capitale abstraite, New-York-sur-Loire reste à découvrir.
=> Lettres des Isles Girafines + Le journal d’Emma, Albert Lemant, Seuil Jeunesse 2003 et 2007

En 1912 commence une épopée fantastique, qui durera cinq ans, dans les Isles Girafines. À travers les lettres de Lord Marmaduke Lovingstone, parti à la recherche du peuple mythique des Girafawaras, le monde de Girafawaland se dessine. Émerveillé par ses découvertes, l’explorateur emmène ses troupes peu à peu vers la folie.
=> Le petit navigateur illustré, Elzbieta, L’Ecole des loisirs, 1991

La mer est immense, il faut bien les 12 mois de l’année pour la parcourir en entier. De janvier à décembre, le navigateur avisé s’aidera de son almanach pour dénicher, à coup sûr, le trésor du capitaine Kidd, s’entretenir familièrement avec l’éléphant du Pôle, ou entendre chanter la lune. Chaque mois, une histoire lui révélera d’autres mystères maritimes: passager clandestin, pieuvre géante, sirènes, Willy Willies, ou l’étrange secret du bateau fantôme…