Je me réveille ce matin avec une envie de délire de confinée (ça commence un peu à peser ce huis clos) et si vous voulez juste connaître mon avis sur ce roman ado, rendez-vous directement au second paragraphe de ce post – surtout si vous ne souhaitez pas perdre de temps. Pourtant, autant en perdre en ce moment, du temps… Donc ce matin, j’essaye de me souvenir pourquoi j’ai choisi de lire ce livre. Et je me dis que bien évidemment, c’est pour Alice Zeniter. Car j’aime cette auteure de littérature « adultes », à comprendre celle qui n’est pas écrite à l’intention de.., destinée à la jeunesse. Et là, je pense à ma posture de prescripteur / prescriptrice. Pourquoi ai-je toujours envie de lire les textes des auteurs de littérature générale (appelons la comme cela) quand ils s’essayent à la jeunesse ? Là aussi, je me rends compte que mes interrogations sont assez orientées. De fil en aiguille, je me demande si je suis une bonne prescriptrice et là, c’est la « tempête dans ma tête » comme dirait M. Je me dis qu’en fait, à quel moment de ta vie, tu as décidé d’être prescripteur. Jamais petite, je ne me suis dit « Quand je serai grande, je serai prescripteur ! ». Non ! De la même façon, tu ne joues jamais aux prescripteurs-lecteurs quand tu es marmot (ou alors le cas est sérieux…). Tu joues aux gendarmes, aux voleurs ; aux cow-boys, aux indiens ; sûrement à la maîtresse, voire au docteur … et en ce moment, ça nous arrange bien que certains aient même décidé d’en faire leur métier. Pas non plus de Dr ès prescripteur, de chercheur-professeur prescripteur, de prix Nobel de la Prescription, et tutti quanti. Tu ne lis pas non plus « On ne naît pas prescripteur, on le devient », tu ne dis pas « cogito ergo prescriptum », tu n’es pas inspiré par « Ma vie de prescripteur » et tu ne chantes pas « Quand j’étais petit, j’étais un Prescripteur ». Quel sacré imbroglio ! Et aucune réponse à apporter à cette curiosité complètement tournée vers mon ego, j’en suis consciente. Je bois alors un bon thé vert (il vaut mieux éviter trop de caféine en temps de confinement… parole de Robinson …) et suis obligée de me résoudre à ce constat : « Si j’ai choisi ce roman, c’est bien-sûr parce que j’y ai vu sur la première de couverture le nom d’Alice Zeniter et que j’ai dévoré son roman « Sombre dimanche », qui m’a intéressée parce que ça se passe en Hongrie et que je suis mariée à un hongrois… et que la réponse est juste là : l’humain, l’affect, la sensibilité. Le prescripteur est un être – certes – doué de raison, mais surtout sentimental (d’où le Foule… du titre), fortement influençable (ce qui est mon cas), passionné, imprévisible, tellement énigmatique qu’il laisse libre cours à ses interconnexions personnelles. Et mon leitmotiv, c’est plutôt clairement « On n’est pas sérieux quand on est prescripteur ». Alors, je ne peux toujours pas vous dire pourquoi 15 jours avant l’annonce d’un confinement, qui nous a plus qu’incités à rester bien protégés chez nous, j’ai lu « Home sweet home ». Et pourtant, au coeur de cette Histoire covid-19 que nous sommes en train de vivre, ça me questionne encore et toujours…
« Home sweet home », c’est une histoire dans l’Histoire. Cleveland, 2008, nous sommes en pleine crise économique, celle des subprimes (mais ça vous le savez car on n’y fait régulièrement référence dans les infos, en ce moment). Faillite, chômage, familles ruinées, vente à perte de l’immobilier, fermeture des commerces, ville laissée pratiquement à l’abandon. C’est dans ce contexte qu’Anna décide de s’approprier un lycée déserté, accompagnée de ses frères et d’autres adolescents, dont Elijah, la deuxième voix de ce roman. Tout s’organise petit à petit dans ce monde clos qui devient une micro-société : répartition des activités, prises de décisions démocratiques, organisation des apprentissages à la manière d’une école alternative, prise en charge et protection des plus petits, etc. Jusqu’au jour où une autre bande découvre cet inespéré « home sweet home » et décide aussi d’investir les lieux. Il va falloir négocier et s’accepter, dans le but de rester en marge, « invisibles » et confinés (le mot est lâché…). Mais rien ne peut durer éternellement dans la vie, et encore moins dans les romans. Les forces de l’ordre finiront par intervenir pour les déloger et un certain retour à la normalité est donc assuré.
« Home sweet home » est un récit polyphonique qui ressemble à de nombreux romans adolescents de par ses thématiques traversées : l’interdit et la transgression, la défiance et les défis, les premières fois, le vivre ensemble, l’amitié et l’amour, la fougue et l’espoir. J’ai apprécié le talent d’une écriture à quatre mains et l’idée d’un monde recréé à l’image de ces enfants-adolescents, comme une tentative de s’opposer et de narguer une certaine fatalité. Un roman agréable, donc, mais dont l’enjeu de prescription est différent pour moi aujourd’hui. Le coronavirus s’invite et en revisite ma critique. 2008, une autre crise, un autre temps mais déjà inscrits dans ce début de 21ème siècle. Et la figure de l’adulte choisie par Alice Zeniter et Antoine Philias interpelle. Souvent évoqué, cet Adulte nous paraît cupide, déraisonnable, victime, soumis, démissionnaire et malgré tout, et en définitive (à la fin du récit) autoritaire. C’est un roman assez réaliste, un appui historique et documenté. Et je me dis qu’un roman ado donne envie de lire, mais aussi de découvrir et de réfléchir. Quelle position est celle de tout citoyen qui se dit que l’Histoire ne fait pas assez leçon ? Quelle position est celle du prescripteur qui incite les jeunes générations, à lire des histoires, pour les aider à comprendre et à espérer, alors qu’il aimerait plutôt les imposer aux grands décideurs de ce Monde ? À ces jeunes lecteurs, j’aurais envie de dire « désolée, on vit une drôle d’époque » et « je ne sais comment qualifier cet héritage honteusement laissé ». Faudra-t-il 10 ans pour lire les prochains romans ados « spécial confinement » (ah non ça existe déjà en fait…) ? Et cet adulte, humble prescripteur, pourra-t-il encore et toujours recommander des récits dont la toile de fond a subitement surpassé toutes nos lectures de science-fiction ? Du type : « Lis ça petit, c’est de l’Histoire ancienne et ça ne pourrait plus se produire ! » Alors oui cette lecture a aujourd’hui, pour moi, un autre goût et surtout il confirme ce que j’ai toujours pensé et voulu. J’aime être prescripteur et je ne m’en lasserai jamais même si la tâche critique n’est pas innée, encore moins aisée surtout dans des temps où la « prescription » envisagée comme la recommandation – à l’identique de celle des soins et du traitement médical d’ailleurs – nous semble futile. Tout simplement parce que ces romans lus nous semblent parfois vite oubliés et mis de côté (surtout face au nombre de publications de romans ados à l’année), alors qu’ils laisseront en nous des traces et une mémoire de ces histoires et de ces récits imprévisibles. CQFD –
Ainsi avant le confinement, je ne saurais dire si prescrire et lire « Home sweet home » me semblait inévitable, alors que maintenant…
Antoine PHILIAS ; Alice ZENITER. « Home sweet home« . L’école des loisirs, 2019. Coll. Médium+ – ISBN : 9782211239974 – 15,50 € – à partir de 15 ans