Face à soi-même

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Qui aimerait, à 30-40 ans, se retrouver face à son « mini-moi » adolescent, dans les souvenirs ou physiquement ? Ça sent l’heure des bilans et peut-être des regrets. C’est un passé qui rattrape et qui bouscule bien évidemment. Le sujet n’est pas nouveau, mais pas souvent exploité en littérature pour la jeunesse. À leur manière, soit par le texte, soit par l’image, Marion Muller-Colard et Carole Maurel nous proposent des récits qui ont de nombreux points communs.

Les héroïnes sont des jeunes femmes qui affrontent ou reviennent sur ce qu’elles ont été 20 ans auparavant. Elles ont chacune des familles étouffantes et exigeantes, peu de considération pour la construction de soi et encore moins pour la différence. Surtout, ces deux récits traitent avec intelligence un thème comme celui de l’homosexualité. Le sujet est amené avec beaucoup de finesse, de tendresse mais aussi de rage et donc d’émotions. Les personnages sont chahutés, contraints à se dévoiler et obligés de faire face à leur propre « soi », leur individualité.

Dans « Bouche cousue« , Amandana, l’héroïne, est une adulte issue d’une famille dans laquelle le traditionnel et le conventionnel priment. Pour ses parents, qui tenaient un lavomatique, le parallèle est simple. La différence, les doutes, les états d’âme sont nettoyés, javellisés, stérilisés comme du modeste linge. Et, Amandana et sa soeur ont grandi dans cet environnement, prenant des chemins différents, sans être totalement épanouies et libérées de ce passé. Alors quand elle comprend que son neveu vit le même malaise qu’elle, Amandana décide de lui écrire, de lui confier ce qu’elle n’a jamais osé avouer et assumer.

Dans « Luisa, ici et là« , c’est ce que le personnage principal va devoir défier aussi, alors qu’adolescente, elle se retrouve projetée en 2013 se découvrant elle-même dans sa vie future. Les deux Luisa, face à face, vont se rejeter leur culpabilité, leur fragilité, leur mal-être jusqu’au « coming out » et une forme d’apaisement. Là encore, les parents, notamment la mère, ne sont pas épargnés du côté des préjugés et des non-dits. Un sablier ponctue chaque chapitre de ce récit, comme le temps qui passe, inéluctable, et la vie qu’il ne faut plus laisser filer. Il représente aussi ces deux « soi » que Luisa ne sait appréhender et supporter. À la fin, ils ne feront plus qu’un, rendant cette jeune femme enfin libre d’accepter ce qu’elle a toujours resenti.

Ces deux récits font partie de mes coups de coeur de l’été dernier. Ils expliquent avec beaucoup de psychologie un mal-être bien ancré, des sentiments refoulés qui peuvent peser longtemps. Mais ce sont aussi des récits optimistes qui secouent la fatalité et les chemins bien tracés. A faire lire sans commune mesure ! À partir de 13-14 ans.

Marion MULLER-COLARD. « Bouche cousue« . Gallimard, 2016. Coll. scripto. 7€

Carole MAUREL. « Luisa, ici et là« . La boîte à bulles, mai 2016. 32€

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 » Tu n’imagines pas le surplace sentimental que j’ai fait durant toutes ces années !  » 
Luisa à sa maman.
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Rouge Tagada

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1ère de couverture

Malgré le titre plutôt doux et sucré de ce roman graphique, ce n’est pas une histoire si tranchée, si édulcorée que nous proposent Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini.

Le jour de la rentrée scolaire (un sujet de moins en moins d’actualité…), Alex remarque Layla, une nouvelle. Elles sont en quatrième. Petit à petit, et grâce à une passion partagée pour le théâtre, les deux filles vont se découvrir, s’apprivoiser, se lier d’amitié, jusqu’à devenir inséparables. Immergées dans leur bulle, les amies partagent tout, le shopping, les cadeaux, les bons moments, les fous rires, les délires. Mais… car oui, il y a un mais… les sentiments qu’éprouve Alex envers Layla, s’avèrent marqués par une admiration, une passion, un amour caché. Une fille avec une fille ?

Sans avoir une idée trop réductrice, trop bornée, j’ai trouvé quelques similitudes entre « Rouge Tagada » et « Le bleu est une couleur chaude » de Julie Maroh. Ces deux récits abordent très justement la question de l’orientation sexuelle, au coeur de cette complexe période qu’est l’adolescence. Savoir qui on est ? Ce que l’on paraît ? Ce que l’on veut être ? et blablabla… « Rouge Tagada » est une histoire d’amour sensible, et touchante. C’est aussi un regard sur le Comment. Comment découvrir et vivre au mieux son homosexualité, son attirance pour l’Autre du même genre, entre doutes et (il semblerait) obligatoires souffrances. Bref, il y a tout d’une Fraise Tagada dans cette relation, en apparence c’est rond, colorée et tentant mais une fois croquée, il y a une certaine acidité !

Au-delà du récit, je vous inviterai également à vous plonger dans l’univers graphique de Stéphanie Rubini (Le site de Stéphanie Rubini). Ses dessins sont bien-sûr réalistes, mais sont surtout frais (malgré le sujet), simples et expressifs.

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Un roman graphique à proposer, dès 12-13 ans.

Rouge Tagada, Charlotte BOUSQUET et Stéphanie RUBINI, Gulf stream éditeur, 2013. 15 €

L’Âge d’ange d’Anne Percin

Ce petit roman se lit en un battement d’ailes de papillon. Il est court et les mots courent vers la chute, cassante et brutale, parce qu’elle est inacceptable.

C’est l’histoire de… au début c’est mystérieux. Le narrateur est assexué, solitaire, introverti et passionné par l’Antiquité grecque. Cette passion qui remplit sa vie semble faire sa singularité sauf qu’il découvre la partager avec un autre. Son livre de référence sur les Amours des Dieux grecs a été emprunté au CDI du lycée (parce que nous sommes au Luxembourg, le CDI s’appelle ‘bibliothèque’ et la dame du CDI la ‘bibliothécaire’). Anja, le narrateur – qui est finalement une jeune lycéenne-, rencontre Tadeusz, celui qui partage la passion du monde hellénique et qui traîne un douloureux secret. Une amitié en construction entre deux êtres marginaux et en souffrance.

C’est beau, très poétique et douloureux comme une morsure. Une morsure d’ange.

A lire à partir de 13-14 ans

L’école des loisirs, 2008, 8€