Croyez-le ou non, il y a encore des gens pour qui la BD n’est pas un livre.
Ah les joies de la BD ! Pour tous les âges, pour tous les goûts, elle reste le cadeau de référence des anniversaires des copains, des Noël des enfants, des fêtes des pères et des mères… Elle assure à tous les coups. Sa variété lui permet de faire plaisir à tout le monde.
Pour une fois je ne vais pas faire que vous raconter ma vie de libraire de province mais aussi étayer mon blabla de quelques chiffres pas sortis d’un chapeau.
En 2015 autour de 340 BD pour enfants sont parues contre 38 en 2001 (oui ! Vous avez bien lu.) Et ce, dès le plus jeunes âge puisque l’on trouve des collections dès 3 ans, sans texte aucun et celles-ci remportent un vif succès !
Le plus célèbre héros est Petit Poilu. Presque aussi hirsute que sa gigotante confrère, Ana Ana. La jeune sœur du non moins célèbre Pico Bogue ravit les plus jeunes et selon moi fait un excellent support en 1e lecture aussi et on s’en fiche si, sur le présentoir, c’est écrit pour les 3-6 ans. D’ailleurs j’ai collé un autocollant sur cette indication parce qu’il me semble qu’à 6 ans quand on découvre le plaisir de lire seul, c’est vraiment une des séries les plus adaptées. Et si je laisse l’info visible je prends alors le risque qu’on me fasse remarquer que c’est « pour les bébés »…
Le genre est profondément ancré dans les habitudes de lecture des plus jeunes. C’est ce que l’on découvre dans
Les jeunes et la lecture en France, étude de juin 2016 sur 1500 jeunes de 7 à 19 ans. On y apprend aussi que la BD est le genre le plus populaire pour 65% des lecteurs de primaire et pour 63% des collégiens avant d’être supplanté par les romans auprès des lycéens. Ainsi les héros les plus populaires auprès des jeunes sont
Harry Potter mais aussi
Titeuf,
Tintin,
Astérix ou encore
Max et Lili… Et cerise sur le gâteau :
EURÊKA !
Seuls 4% des enfants ont déclaré détester lire…
Soulagement ! Enfin pour combien de temps encore ? La tablette et le smartphone finiront-ils par faire disparaitre ces merveilles ? Il y a peu j’ai lu un article dans le magazine
Causette qui m’a fait frémir. Le sujet en était les jeunes enfants et leur addiction aux écrans. Une mère racontait que son gosse de 3 ans lui avait fracassé 10 téléphones car le soir il s’endort avec une appli de berceuses et que si le wifi a le malheur de couper le gamin pique des crises en fracassant le téléphone au sol.
Aussi, pour les habitués aux livres que nous sommes, la question peut sembler idiote et saugrenue de savoir si oui ou non une BD peut bien être considérée comme un livre. Mais dans la réalité, ce n’est pas aussi clair pour tout le monde car à la librairie, combien de fois nos oreilles se sont-elles froissées en entendant : « Vous ne vendez pas de vrais livres ? ». Pas un mois sans entendre la terrible sentence. Pour « les gens » un livre est un roman, point barre. Pauvres livres de cuisine, de jardinage, de photographie… Je ne vous parle pas des mangas qui souffrent encore plus du dédain de certains.
Car nous sommes tous bien d’accord qu’un livre est un « assemblage de feuilles imprimées et réunies en un volume, broché ou relié » ; c’est Mr Larousse qui le dit. Il n’y a donc même pas besoin qu’il y ait de texte. Seuls les plus contrariants (il en reste !) iront donc penser ou dire que la BD n’est pas un livre. Reste à les convaincre, mais je m’en charge ! Et y a du boulot quand on entend :
« Ah vous vendez des BD, je préfèrerais vous acheter autre chose. Ah ! Mais tiens ! Là il y a des livres pour les enfants. » (véridique et entendu au moment où je rédige cet article manquant de m’étrangler…) Cette irritante remarque tombe pile-poil !
Effectivement, dans notre librairie, nous avons fait le choix d’implanter un rayon de livres pour enfants (hors BD, donc.) Ce n’est qu’un petit bout de rayon qui selon moi était devenu indispensable. Jusqu’alors nous n’avions rien à proposer aux enfants de moins de 6 ans à l’exception de 2 ou 3 séries de BD sans texte dont nous avions très vite fait le tour. Quand j’ai senti que j’allais frôler l’overdose de Petit Poilu je me suis dit qu’il fallait agir.
A part ça, je l’aime bien et je n’ai rien contre lui.
J’avais aussi la sensation de laisser tout un pan de notre jeune clientèle sur le carreau. Voir les petits frères et sœurs dans les poussettes repartir bredouille, c’était trop triste.
Mon petit cœur sensible ne pouvait pas supporter.
En tant que prescriptrice (ouh le vilain adjectif au féminin !) mon rôle est de proposer des liens que l’on ne voit pas forcément mais qui me semblent pertinents et de ne pas céder aux sirènes de la nouveauté. Ainsi, si vous pouvez glaner quelques albums jeunesse là où je travaille, l’essentiel des albums que nous avons mis en valeur concerne des ouvrages de fonds, des classiques pour la jeunesse et quelques nouveautés qui ont attiré notre œil curieux d’illustrations novatrices. J’ai choisi de proposer des livres pour tous les âges et d’offrir du choix à tous les enfants qui rentreraient dans la librairie, même s’ils se déplacent encore en poussette ou accroché aux parents par un bout de tissu savamment noué.
Oh la jolie passerelle ! Ce mot me tient à cœur.
Au final ces « vrais » livres au milieu de ces « ersatz » de littérature remplis de cases et de bulles sont un vrai plus pour les clients et pour nous. Ils sont une véritable PASSERELLE vers des lectures différentes dès le plus jeune âge.
Ainsi, chaque jour je tente de décloisonner, d’ouvrir des horizons, de tisser des liens le plus possible pour que chacun trouve son bonheur dans les livres.
Il y a du boulot, mais j’en fais mon affaire personnelle !