Un petit tour chez Agnès de Lestrade

J’ai envie de partager trois lectures pour dresser un peu le portrait d’une auteure qui réussit ce subtil mélange de me chahuter, de me chagriner, de me « choquer » et de me charmer.

3 romans, bien différents par leur impact et leur ton (du pus grave au plus léger) mais 3 romans qui offrent quelques constantes : des univers exclusivement féminins ou presque. L’héroïne y est, chaque fois, une jeune fille charismatique et vive d’esprit.  La mère, personnage secondaire, y a une place essentielle : elle peut-être cruelle, triste, bienveillante, douce ou joyeuse. Enfin la grand-mère, figure féminine forte, est un point d’ancrage pour nos jeunes héroïnes : grand-mère refuge et  grand-mère souvenir.

Bref chez Agnès de Lestrade, l’univers féminin se décline tout en nuances : gai, triste, léger, torturé, pensif, rêveur, nostalgique, égocentrique, généreux, joyeux et vivant, terriblement vivant !

Les mots qui tuent.

 Le titre de ce roman, n’est pas seulement une métaphore bien choisie ; il cache un véritable drame.

Mara est une collégienne taciturne. Elle n’a jamais beaucoup aimé les mots qui se déploient au grand jour. Dans son quotidien, les mots enferment une telle violence qu’elle préfère les dissimuler dans son journal intime. Car oui, les mots qu’elle pense et qu’elle écrit sont cruels, particulièrement envers sa mère. Une mère plus préoccupée par ses créations de tissus que par sa création de chair. Sa fille n’est que le porte-manteau des vêtements qu’elle créé. Et quand on est un porte manteau il n’est pas facile de se faire des amies.

Mara est donc seule. Avec ses maux et ses mots.

Mais voilà, quand on est une adolescente, la solitude est pesante et on a besoin d’être aimée… à tout prix. Pour garder l’affection de sa seule amie et pour attirer l’attention d’une mère en abandon d’affection, Mara choisit donc d’être aimée, au prix de mensonges. Or le mensonge peut conduire au pire.

Oui les mots peuvent tuer.

C’est un roman court mais dense qui invite le lecteur à réfléchir à l’impact des mots. Des mots qui sont choisis avec précision et qui vous bousculent.

Il est difficile de s’identifier à la narratrice et de s’attacher à elle tant son acte désespéré d’amour est criminel. Pourtant, il est tout aussi difficile de la détester et de l’incriminer tant c’est une adolescente en misère affective. Mara est donc un personnage particulièrement intéressant. Cette ambivalence qu’elle provoque,  participe à perturber le lecteur.

Comme beaucoup d’œuvres d’Agnès de Lestrade, la lecture laisse un arrière gout de malaise. Quelque chose dérange… Certaines phrases claquent encore dans nos oreilles (oserais-je dire  dans notre conscience ?).

Les mots ne sont jamais anodins : une fois le livre refermé, on a envie d’en parler, d’échanger, de partager… N’est-ce pas le signe d’une belle réussite littéraire ?

Éditions Sarbacane, 64 pages, 5 €, dès 13-14 ans.

Mes yeux menthe à l’eau

« C’est à la mort de Granny que tout a commencé »… Évidemment il existe plus gai comme entrée dans un roman. Et je ne sais pas pourquoi cela me fait penser à la première phrase de l’étranger de Camus « Aujourd’hui maman est morte. ». La comparaison s’arrête là.

L’histoire ne verse ni dans l’absurde ni dans le pathétique. Au contraire, Nina se révèle une jeune héroïne pleine de ressources et d’entrain. Elle met de côté sa tristesse pour s’occuper de sa maman accrochée à son lit  et à son chagrin et l’aider à retrouver le sourire. Un autre personnage féminin fait alors son entrée : l’amie essentielle. Celle qui ne refuse aucun sacrifice pour ramener un peu de gaité dans une maison qui part à la dérive tant elle est submergée par les flots de larmes.

Roman sur la perte d’une figure emblématique de la famille, il parle du chagrin, de la douceur des souvenirs et se termine sur des notes extrêmement positives.

Les illustrations de Violaine Leroy, apportent, en plus, une manière très poétique de dessiner le deuil et par dessus tout la vie.

Aux éditions du Rouergue, collection Zig zag (une belle collection qui laissent un place importante aux illustrations), 105 pages, 6€50, de 8 à 99 ans.

Tout le monde veut voir la mer

Oui, Agnès de Lestrade écrit aussi des romans plus « légers » où la lecture provoque des sourires qui ne vous lâchent pas.

Tout le monde veut voir la mer est arrivé fraichement dans ma librairie préférée, il y a quelques mois. C’est un coup de cœur car il a réconcilié ma fille de 9 ans avec la lecture.

Un roman vif, drôle, mais qui distille quelques réflexions à méditer ne pouvait que réveiller son goût de lire.

Marika , la jeune narratrice vit dans la cité des Muguets (bien qu’il n’y ait aucun muguet dans son quartier). Elle aime les chevaux et rêve d’équitation. Même si elle sait  que ce rêve est inaccessible, il lui « pince le cœur » et lui «  fait comme des papillons dans l’estomac ». Son plus grand souhait est de pouvoir galoper. Alors, forcément quand le secours populaire offre une journée à la mer aux enfants du quartier, elle ne voit aucune raison d’être heureuse et encore moins d’y aller. Oui « ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on a forcément envie de voir la mer ! ».

Mais Marika est une jeune fille attentive aux autres et à leurs rêves. Aussi, quand son amie Sofia se met à pleurer et à la supplier de l’accompagner, elle se résout à vivre cette journée. Elle découvrira alors qu’il y a parfois des endroits où l’on ne veut pas aller mais qui regorgent de belles rencontres. « C’est drôle la vie. Il y a des choses qu’on n’attend pas, qu’on ne souhaite pas et qui pourtant vous emportent ».

Voilà, encore une fois je suis emportée par ces mots justes d’Agnès de Lestrade.

Les illustrations de Nathalie Choux accompagnent parfaitement ce texte : les personnages avec leurs grands yeux, observent les autres et le monde d’un regard curieux  et bienveillant.

Ce joli récit cache d’autres petites histoires : celles de la vie dans une cité, de l’Algérie que la maman de Marika garde dans un coin de ses rêves, de la pauvreté, de la fierté et du racisme. Et tout cela sans en faire des tonnes : quelques petites touches ici et là qui sont autant de jolies petites leçons de vie.

Aux éditions Rouergue , collection zig zag , 90 pages, 6€80 ; de 9 à  99 ans.

Voilà un petit bout du pourquoi j’aime Agnès de Lestrade. En plus j’ai lu qu’elle aimait mettre des boules Quiès et qu’elle écrivait dans son lit. Le talent en moins, je me reconnais dans ces quelques détails !