L’ouvre-livres prend la pose#10

A Tokyo,

Céline

lit

des mangas

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Kinderland

Non ceci ne sera pas un article faisant la promotion de la marque aux « douceurs » chocolatées que je trouve au combien plutôt faciles à avaler (le terme « déguster » ne s’y prêtant pas) mais dont je déteste les publicités surannées et culpabilisantes. Oui, j’ai toujours oublié de ramener le goûter favori de mes enfants à la sortie de l’école ! Non, je n’ai jamais de (BIP) Bueno dans mon placard au cas où à l’improviste les petits copains viennent jouer ! Oui, j’ai parfois envié frère et soeur de trouver de moins chouettes objets dans mon (BIP) surprise ! Passons…

Le « Kinder » dont je vais vous parler aujourd’hui, c’est celui de Mawil. Cet enfant qu’il était dans une Allemagne qui a vécu tantôt l’Ouest, tantôt l’Est, la séparation, la Bizone, RDA, RFA, le mur de Berlin… puis sa chute, la Réunification.

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1ère de couverture

« Kinderland » c’est donc une petite histoire de la Grande. Le récit se passe à Berlin-Est, en 1989. Mirco, jeune héros, est un petit allemand de l’Est plutôt commun. Elève discret, voire trouillard, peu sûr de lui, il est chahuté par les plus grands, ignoré par les filles. Quand il n’est pas à l’école, il est à l’église enfant de choeur, ou il défile dans la rue avec ses camarades pionniers. Et puis, Mirco fait la connaissance de Torsten, le rebelle. Bien que de nombreux points les opposent, tous les deux vont se lier d’amitié et décident de s’entraîner au ping-pong pour pouvoir battre les brutes du collège. Mirco est obsédé par ce défi, ce tournoi en oubliant les événements historiques qui s’emballent autour de lui. En effet, le mur s’ouvre peu à peu, la radio annonce « des allègements et libertés de sortie », des « franchissements de frontière spontanés ».

Mirco et Torsten, c’est un peu l’antagonisme que vit l’Allemagne à cette époque. L’un est peureux, sage, peut-être trop longtemps soumis ? L’autre est révolté, presque « explosif », qui aime désobéir, qui veut profiter. Et l’histoire de cette amitié, c’est celle de la réunification. Entre rapprochements, disputes, concertations, engueulades… tout se termine par une réconciliation, faisant obligatoirement Grandir nos deux jeunes héros.

Mawil, l’auteur, est naît en 1976 à Berlin-Est. Il nous propose ici une histoire façon docu-fiction, une tranche de vie (la sienne) avec en décor des événements historiques majeurs, modifiant le destin d’un pays, l’avenir de ses habitants irrémediablement. Un roman graphique très accessible qui nous permet de partager un peu de l’histoire de nos voisins allemands, en y révélant les enjeux et la complexité. Et surtout l’impact sur quelques générations. Très instructif … et en images !!

A conseiller à partir de la 4ème.

Kinderland, de Mawil. Gallimard, novembre 2014. 27€

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Cet été-là, de Jillian et Mariko Tamaki. Ed. Rue de Sèvres.

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Cet été-là est un « YA graphic novel », comme ils disent de l’autre côté de l’Atlantique où vivent et travaillent les cousines canadiennes Tamaki (Jillian est aux pinceaux et Mariko au texte, et il s’agit là de leur second album en commun.)

Entendez donc par là qu’il s’agit d’un « roman graphique pour jeunes adultes ». Ah la fameuse tendance « jeunes adultes » qui nous enquiquine parfois parce qu’elle veut tout et rien dire !

Dans le cas de cette BD publiée par Rue de Sèvres, -le label bd de l’École des loisirs dont on a désormais bien compris qu’il n’était pas venu là pour rigoler-, « jeunes adultes » prend pourtant tout son sens. Rose vient tous les ans passer ses vacances avec ses parents à Awago beach où elle retrouve chaque fois son amie Windy. La première, grande blonde et filiforme a encore son corps enfantin, la seconde petite et brune a vu ses seins éclore dans l’année. Rose est aussi réservée que Windy est exubérante. Chez elles c’est un peu la pagaille, surtout chez Rose dont la mère est engloutie par son chagrin depuis une fausse couche l’année précédente. Rose assiste aux crises entre ses parents en se faisant toute petite et redoute le départ de son père plus que tout. Elle attend désespérément le moment où sa mère relèvera enfin la tête.

Cet été-là, les filles vont changer. Mais pas tant que ça. Ce n’est peut-être pas d’elles que viendra la métamorphose attendue par le lecteur. Autour d’elles gravitent des ados, qu’on peut qualifier, eux, de jeunes adultes. C’est l’été, les filles sont peu vêtues, les garçons qui tiennent la boutique qui vend/loue de tout ont la langue qui pendent. Rose trouve ces filles vulgaires et le garçon qui tient le comptoir est plus âgé, mais qui sait… Qui sait s’il l’intéresse ? On ne sait pas trop ce qu’il y a dans la tête de Rose. Alors, -peut-être pour se faire remarquer par ces grands garçons-, nos héroïnes se mettent à leur louer des films d’horreur pour lesquelles elles ne sont pas tout à fait prêtes ! De belles frayeurs pour elles en perspective…

Toutes deux sont encore engoncées dans leurs corps et mentalités de pré-ados, ne sachant si c’est encore chouette de faire des châteaux de sable ou si c’est le bon moment pour visionner des films d’horreur. Leurs corps et leurs cœurs oscillent entre l’enfance et l’adolescence et les cousines Tamaki nous le montrent d’une belle façon. J’ai aimé cette première scène à la plage où l’une propose à l’autre de refaire un château de sable mais où l’on perçoit qu’elles ne savent ni l’une ni l’autre si « ça se fait encore » ou même si elles en ont encore vraiment envie. Et la joie de les retrouver 300 pages plus loin, creuser dans le sable pour s’enterrer comme des gosses qu’elles sont encore (ou plus ?) avant de rentrer chez elles pour une année loin de la plage. Feront-elles encore des châteaux de sable l’an prochain ? Y a t’il d’ailleurs un âge pour arrêter d’en faire ? On ne sait pas. La préoccupation de Rose est plutôt de savoir si l’an prochain, elle aura enfin des seins… Pas des énormes, juste des normaux, lui suffiraient comme elle le dit de manière si touchante en clôture de l’album.

Sur plus de 300 pages, les cousines Tamaki figurent admirablement ce moment délicat qu’est le début de l’adolescence. La pudeur, l’inquiétude de Rose se mêlent à la joie de vivre et au culot de Windy dans cette histoire subtile et magnifiquement illustrée.

Gros coup de cœur pour cette BD qui n’a pas sa langue dans sa poche pour parler des changements hormonaux !

– Y’en a une à mon cours de danse, qui a dix ans et qui fait au moins un bonnet D. Peut-être même un G. Genre, ça lui fouette la figure quand elle court.

– Ma mère fait un B. Je ferai sûrement un B moi aussi.

– Est-ce que toutes tes copines ont des nichons ?

 

Questions essentielles à 13 ans, non ?

Cet été-là, Jillian et Mariko Tamaki, Ed. Rue de Sèvres, 318 p., 20 €.

Rouge Tagada

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1ère de couverture

Malgré le titre plutôt doux et sucré de ce roman graphique, ce n’est pas une histoire si tranchée, si édulcorée que nous proposent Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini.

Le jour de la rentrée scolaire (un sujet de moins en moins d’actualité…), Alex remarque Layla, une nouvelle. Elles sont en quatrième. Petit à petit, et grâce à une passion partagée pour le théâtre, les deux filles vont se découvrir, s’apprivoiser, se lier d’amitié, jusqu’à devenir inséparables. Immergées dans leur bulle, les amies partagent tout, le shopping, les cadeaux, les bons moments, les fous rires, les délires. Mais… car oui, il y a un mais… les sentiments qu’éprouve Alex envers Layla, s’avèrent marqués par une admiration, une passion, un amour caché. Une fille avec une fille ?

Sans avoir une idée trop réductrice, trop bornée, j’ai trouvé quelques similitudes entre « Rouge Tagada » et « Le bleu est une couleur chaude » de Julie Maroh. Ces deux récits abordent très justement la question de l’orientation sexuelle, au coeur de cette complexe période qu’est l’adolescence. Savoir qui on est ? Ce que l’on paraît ? Ce que l’on veut être ? et blablabla… « Rouge Tagada » est une histoire d’amour sensible, et touchante. C’est aussi un regard sur le Comment. Comment découvrir et vivre au mieux son homosexualité, son attirance pour l’Autre du même genre, entre doutes et (il semblerait) obligatoires souffrances. Bref, il y a tout d’une Fraise Tagada dans cette relation, en apparence c’est rond, colorée et tentant mais une fois croquée, il y a une certaine acidité !

Au-delà du récit, je vous inviterai également à vous plonger dans l’univers graphique de Stéphanie Rubini (Le site de Stéphanie Rubini). Ses dessins sont bien-sûr réalistes, mais sont surtout frais (malgré le sujet), simples et expressifs.

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Un roman graphique à proposer, dès 12-13 ans.

Rouge Tagada, Charlotte BOUSQUET et Stéphanie RUBINI, Gulf stream éditeur, 2013. 15 €

Sailor Twain ou La Sirène dans l’Hudson

Nous vous l’avions confié, il y a déjà quelques temps, la parution de romans graphiques explose cette année !! Alors, je m’en suis réservés quelques-uns pour mes lectures de l’été et vous présente dans cet article, celui de Mark Siegel, « Sailor Twain ou la Sirène dans l’Hudson« . Comme dans « Quelques minutes après minuit » (voir par ici : Critique « Quelques minutes après minuit ») ; dans « Black out » (voir par là : Critique « Black Out »), là encore, le choix de l’auteur est un dessin en noir et blanc, nous plongeant au mieux dans ce récit qui se déroule à la fin du 19ème siècle.

Nous sommes à bord du Lorelei, un magnifique bateau à vapeur (digne des récits de Tom Sawyer), qui assure des liaisons fluviales sur l’Hudson, à New York. Elijah Twain est le capitaine de ce navire, appartenant à des propriétaires français, les Lafayette. Jacques-Henri, ayant soudainement et bizarrement disparu, c’est son frère Dieudonné qui s’en est vu confier la relève.

p. 26

p. 26

Les journées de Twain sont des plus routinières et calibrées, assurant la direction d’un équipage sans faille, et ainsi donc le confort de chacun des passagers. Jusqu’au jour où… il découvre sur un des ponts du bateau, une sirène blessée, qu’il décide de cacher dans sa cabine et de soigner. A partir de là, rien ne sera plus jamais comme avant, attirant Twain dans le mensonge, les tourments et lui dévoilant peu à peu quelques faits jusque là inexpliqués : le pourquoi de la disparition de Jacques-Henri Lafayette ; le pourquoi des aventures amoureuses et incessantes de Dieudonné Lafayette ; le pourquoi des troubles d’Horatio, le mécanicien et surtout le pourquoi du chant de la sirène qu’il ne faut surtout pas écouter…

Twain et "sa" sirène - p. 163

Twain et « sa » sirène – p. 163

« Sailor Twain ou La Sirène dans l’Hudson » nous emmène dans un monde merveilleux, celui des légendes, des mythes, des créatures extraordinaires qui peuvent être pernicieuses. C’est un récit au ton plutôt « noir », car les protagonistes sont bouleversés, obsédés, en proie aux pires cauchemars, aux pires angoisses. C’est une descente vers le fond, symbolisée par la posture du capitaine Twain, sur la 1ère de couverture de ce roman. La fragilité de la nature humaine nous trouble et nous assistons – simples et impuissants lecteurs – à cette chute certaine. Même la fin est déroutante…

1ère de couv.

1ère de couv.

J’ai beaucoup aimé ce roman graphique, original, dont le « jeu » des dessins en noir et blanc appelle la noirceur de ces âmes mais aussi (quand même) l’espoir. La vie, pas si rose, pas si lisse mais pas si fataliste. A la lecture de ce récit, des interrogations, des chamboulements nous traversent. Un fil conducteur évident, l’Amour, mais accompagné de fascination, de tentation qui dérangent. La démarche de Mark Siegel est louable, démontrer que les histoires de sirènes, ce n’est pas toujours pour les enfants. C’est pour cela, entre autres, que – pour ma part mais c’est discutable – je le conseillerai à des ados avertis (plutôt niveau lycée) permettant une nécessaire prise de recul et la lisibilité de certaines scènes magnifiques (très peu, rassurez-vous !… 😉 ) assez sensuelles, érotiques.

Pour finir, et parce que la boucle ne serait pas bouclée, constatons un clin d’oeil marqué à l’oeuvre de Mark Twain, « Les aventures d’Huckleberry Finn » jusqu’à cet avertissement repris p. 43 : « quiconque essaiera de trouver un motif à ce récit sera poursuivi ; quiconque essaiera d’y trouver une morale sera exilé ; quiconque essaiera d’y trouver une intrigue sera fusillé ».

J’espère donc ne pas m’être déjà trop engagée…

« Sailor Twain ou La Sirène dans l’Hudson« , de Mark Siegel, Gallimard, 25 €