« Marqués » de Alice Broadway

Marques

Dans un monde où les corps sont tatoués d’une histoire de vie, complète et bien remplie, il n’est pas concevable d’être immaculé. Ni tatouage, ni histoire personnelle … au risque de devenir des Oubliés. Alors que Leora va réaliser son rêve d’enfance, devenir tatoueuse, elle est dans l’attente de la cérémonie de la pesée de l’âme de son père, récemment décédé. Mais rien ne semble se passer comme il le faudrait, et Leora va découvrir l’étrange passé de ses parents, jamais évoqué, la plongeant dans l’incompréhension, la colère et le refus.

« Marqués » nous attire tout d’abord par sa couverture joliment cuivrée, dont les illustrations semblent représenter des dessins ethniques. Il faut tourner quelques pages avant d’être réellement emballé par l’histoire, tellement le début se perd dans des détails trop confus. Le côté un peu naïf de l’héroïne et des contes proposés en parallèle du récit ont contribué également à quelques-unes de mes envies de finir ce roman prestement. Pourtant, pourtant… l’idée que toute une vie soit inscrite à même la peau – sans d’ailleurs de possibilité que ce soit autrement – m’a plutôt bien intriguée, en plus du secret révélé bien évidemment. Une Peau qui conserve les souvenirs, les caractères, les rencontres, les erreurs de toute une Vie (l’occasion de réécouter « Tatoué Jérémie » de Gainsbourg en prime – spéciale playlist d’une lectrice). Comment alors imaginer un monde où rien ne peut être caché, pardonné, effacé incitant les plus opposés à conserver une peau vierge sous de factices tatouages. Et quelle place laissée à la liberté ?

Au-delà d’une dystopie qui suggère (encore une fois – tellement récurrent en littérature pour ados actuellement) aux Jeunes de s’opposer à un certain totalitarisme, à prôner la différence, à refuser les mensonges des anciens, à espérer une société plus juste… « Marqués » a fini par me séduire avec cette idée de tatouage, marque quasi-définitive sur la peau, qui ne devrait pas être conçue comme une banalité. À une époque où la culture du tatouage touche de plus en plus les ados., c’est l’occasion idéale de découvrir un autre point de vue sur le sujet. Et puis, c’est un roman qui rappelle effectivement que les contes sont d’autres lectures de la vie. Premier roman et premier tome d’une trilogie. Promis, je reviens à l’analyse du deuxième, dès sa sortie en France. On ne sait jamais, le titre c’est « Spark« …

« Marqués« . Alice Broadway. PKJ, 2018. 17,50€ – à partir de 13 ans

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Les étrangers

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Nord de la France. C’est la fin de la journée, une sortie de collège normale, les élèves papotent nonchalamment sur le trottoir et se quittent peu à peu, pour un retour à la vie familiale. Mais Basile, lui, décide de ne pas rentrer directement. L’ambiance n’est pas au beau fixe en ce moment chez lui, et il n’a pas envie d’y retourner. Il hésite, se ballade, erre et finit par se retrouver sur une friche de gare désaffectée. Là, il y rencontre un « vieux » copain de l’école primaire (qu’il avait un peu oublié) et découvre un quotidien de squat. Mais ils ne sont pas seuls et quand arrivent trois autres jeunes, Basile se trouve bien vite mêlé et emporté par une histoire de kidnapping de mineurs réfugiés. Sans jamais comprendre pourquoi, au début en tout cas, il est entraîné dans une course poursuite qui le terrifie et qui l’amènera au poste, où ses parents seront obligés de venir le récupérer. Il aura certes vécu une « aventure » dangereuse, mais qui le changera irrémédiablement.

Un roman écrit à quatre mains, direct, incisif, qui nous plonge dans une dure réalité des réfugiés, des sans-papiers, ceux qui souhaitent passer de l’autre côté : le fameux « eldorado » anglais mais qui nous secoue aussi sur la question du trafic, des passeurs, des profiteurs… Le rythme est entraînant, amenant une lecture rapide du récit. Et le destin de ces migrants va permettre à Basile, un peu auto-centré (genre ado. quoi ;-)), de découvrir ce qui se passe à deux pas de chez lui. La précarité, la fragilité, la peur… Et le fait que les protagonistes soient des mineurs isolés sensibilisent davantage, incontestablement. Malgré deux-trois éléments de peu de vraisemblance (on dira… mais parfois je manque d’imagination), c’est un récit intelligent et percutant, un suspense bien mené et même oppressant. La couverture annonce le ton, récit un peu noir…. mais tellement ancré dans la réalité. A conseiller plutôt à partir de 14-15 ans.

A quand, pour E. Pessan et O. de Solminihac, une autre coopération littéraire de ce type ? Une réussite !

« Les étrangers » – Eric Pessan, Olivier de Solminihac – L’école des loisirs, 2018. Coll. Médium plus. 13 euros

Je suis ton père…

Pas de précipitation, vous ne trouverez aucun Luke Skywalker, aucun Jedi, aucun Dark Vador… ci-après. Mais peut-être que cette critique vous intéressera quand même. 😉

Après avoir découvert « Après la peine » d’Ahmed Kalouaz, j’ai enchaîné avec « La maraude » (je suis comme ça, moi). Ces deux romans ont de nombreuses similitudes, à savoir la relation père-fils, le décalage générationnel mais aussi le rétablissement de la communication, et peut-être le pardon.

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Dans ces deux ouvrages, que l’on suive le récit de Ludovic ou de Théo, c’est surtout à la figure du père que s’attaque A. Kalouaz. Celui qui a des failles, qui a des doutes, qui a de « vieux » rêves, qui s’égare, qui fuit. Dans l’un, nous avons le père qui triche avec la loi, qui se fait prendre et qui écope d’une peine de prison. Dans l’autre, nous avons celui qui perd son travail, qui déprime, qui part. Ils ont leurs différentes raisons, une envie de  rattraper le passé, de réparer une injustice ou une envie de protéger. Et leurs fils, en pleine adolescence, en pleine construction, ne les jugent pas, mais veulent surtout les « retrouver » (dans tous les sens du terme) et veulent comprendre. Cette recherche s’effectue d’ailleurs de manière concrète, sur la route, dans la rue. Elle est ponctuée de rencontres, à la découverte aussi des autres (« La maraude » aura d’ailleurs ma préférence, l’auteur y laissant la parole à quelques SDF, type témoignages. Touchant !).

Ces deux romans de la collection DoAdo, chez Du Rouergue, se lisent très facilement. La relation père-fils interroge, surtout à une période de la vie où tout compte fait (que l’on soit adulte ou jeune), chacun se cherche malgré le décalage de l’âge, de la perception de la vie, de l’avenir. Pas de faux-semblant entre père et fils. Et l’idée que l’un est toujours fort, grand, protecteur, courageux et surtout le « chef » de famille ne repose, tout compte fait, sur rien. Aux fils donc de grandir, de devenir responsable, de se faire adulte. C’est un échange de personnalités judicieux qu’Ahmed Kalouaz amène très bien dans ces histoires.

L’avantage également, bien que ce soit de plus en plus courant, c’est d’avoir des protagonistes masculins. Une prescription plus aisée face à quelques lecteurs (et non lectrices, si vous avez bien compris) fâchés avec la lecture ou juste réticents concernant les romans.

« Après la peine » 2014 et « La maraude » 2016 d’Ahmed KALOUAZ, Du Rouergue. Collection DoAdo.

« Tout à l’heure, un homme du groupe de la place Notre-Dame m’a dit de sa voix caverneuse : « Tu vois, petit, la bonté, ça peut devenir une faiblesse, ici, si tu fais pas attention. » J’ai pensé à mon père, si doux avant que le sol se dérobe sous ses pieds, incapable de violence et de brutalité. » Théo, « La maraude« 

Sauveur & fils – saisons 1 à 3

❤ ATTENTION Coup de coeur VIRAL ❤

Nous sommes nombreuses à l’Ouvre-Livres à avoir succombé aux charmes du psychologue Sauveur Saint-Yves et de son fils Lazare, 8ans. Certes, ce n’est pas la trilogie la plus légère -question volume physique- à emporter dans son sac de plage 2017 mais les chroniques pyscho-sociales et familiales des trois saisons de « Sauveur & fils » écrites par Marie-Aude Murail passionneront pour sûr vos ados et vous également, les adultes ! 

                                                                                

 

Sauveur Saint-Yves est psychologue clinicien. Et quand on s’appelle Sauveur, comment ne pas se sentir prédisposé à sauver le monde entier ? Sauveur Saint-Yves, 1,90 mètre pour 80 kg de muscles, voudrait tirer d’affaire Margaux Carré, 14 ans, qui se taillade les bras, Ella Kuypens, 12 ans, qui s’évanouit de frayeur devant sa prof de latin, Cyrille Courtois, 9 ans, qui fait encore pipi au lit, Gabin Poupard, 16 ans, qui joue toute la nuit à World of Warcraft et ne va plus en cours le matin, les trois soeurs Augagneur, 5, 14 et 16 ans, dont la mère vient de se remettre en ménage avec une jeune femme…  Mais à toujours s’occuper des problèmes des autres, Sauveur oublie le sien : Pourquoi ne peut-il pas parler à son fils Lazare, 8 ans, de sa maman morte dans un accident ? Pourquoi ne lui a-t-il jamais montré la photo de son mariage ? Et pourquoi y a-t-il un hamster sur la couverture ? L’irruption de secrets familiaux martiniquais dans la vie privée de Saint-Yves, le pousse à emmener son fils sur sa terre natale dès le 1er tome. Grâce aux confidences avec accent créole de son père, grâce aux maux et jargon médical qu’il espionne et  grâce à son meilleur ami, Lazare construit le véritable puzzle de sa vie qui aurait, d’après lui,  bien besoin d’être sauvée.

 

Chaque chapitre est le récit d’une semaine de consultations de Sauveur Saint-Yves et ses patients avec un double point de vue : celui du psychologue mais également celui de Lazare, le fils bien curieux qui écoute aux portes toutes ses consultations sans comprendre tout du jargon médical!  Chacun des chapitres nous tient en haleine par les maux divers et variés et plutôt chargés en émotions des protagonistes (autodestruction, quête d’identité, folie, filiation, racisme, suicide…), mais ceux-ci sont relatés avec tellement d’humanité et d’humour qu’ils en deviennent acceptables. Là est la grande force et la qualité d’écriture de Marie-Aude Murail – je ne vous apprends rien de nouveau hein- puisqu’elle arrive comme jadis dans »Oh boy » à briser les tabous et parler de tout avec bienveillance et sensibilité. 

Il est à noté également qu’il y a un peu deux histoires en une puisqu’en plus de suivre les méandres des patients, nous assistons également à la relation entre Lazare et son père, remplie d’organisation chaotique d’emplois du temps et de  secrets de filiation . Finalement, être fils de psy ne dispense pas de son lot de problèmes! Véritable miroir de la société lié à des évènements marquants de notre actualité contemporaine, on suit pendant 3 saisons soit 3 ans l’évolution de ce duo père/fils attachant, véritable et humaniste.

 

Pour vous donner envie de plonger dans ce triptyque, qui de mieux placer que son auteur même qui en lit quelques passages?

« Sauveur & Fils » Saison 1 à 3 de Marie-Aude MURAIL

Ecole des Loisirs, coll. MEDIUM

Avril 2016 -17 €

Romans à mettre en toutes les mains dès 13 ans!!!!

L’écriture à 2 voix, 4 mains et 8 pieds…

Lorsque des auteurs décident d’écrire un livre à plusieurs, la question se pose de la démarche qui amène à cette expérience. En effet, il s’agit souvent au dire des auteurs d’une rencontre, d’une idée commune qui fait son chemin. Quelques exemples pour vous :

Et je danse aussi de Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat

danseCes deux auteurs pour la jeunesse se sont décidés à écrire ensemble une correspondance. Le travail de l’un et l’autre est donc facilement perçu par le lecteur, d’autant plus que les personnages ressemblent un tant soit peu aux auteurs. D’un côté, Pierre-Marie, écrivain célèbre, la cinquantaine, en manque d’inspiration. De l’autre, Adeline, lectrice curieuse et pétillante qui prend les devants en envoyant un colis à l’auteur. Les auteurs ont avoué à La grande librairie qu’effectivement l’identification à leurs personnages respectifs était forte. L’intrigue s’est créée au fil des lettres de l’un et l’autre, avec plein de « perches tendues » que l’autre a l’opportunité de saisir selon son envie… Ce qu’ils appellent leurs « petits poussins perdus », toutes sortes de digressions au fil des lettres qui leur permet de se dévoiler au fur et à mesure de la correspondance.

 

L’expérienceur de Marie-Aude Murail et Lorris Murailexperienceur

Dans ce roman écrit par le frère et la sœur, par contre, un seul récit, et une impossibilité pour le lecteur de savoir quel est le rôle de chaque auteur. Le roman aborde le thème des expériences de mort imminente (E.M.I), et crée un suspense haletant autour de la mort de Lucie, qui a eu un accident de parapente, mais son mari Théo la croit encore vivante.

 

14-14 : Centenaire de la Première Guerre Mondiale, l’histoire d’une correspondance entre deux personnages de 1914 et 2014, Silène Edgar et Paul Beorn

14Un postulat de départ dans ce roman avec un côté fantastique, puisque deux jeunes garçons prénommés Adrien et Hadrien vont pouvoir échanger des lettres à un siècle d’écart… Ainsi, ils vont d’abord être dans l’incompréhension mutuelle, puis dans la découverte d’un quotidien éloigné du leur et aborder ensuite la première guerre mondiale. Chaque chapitre correspond au point de vue de l’un ou l’autre des enfants, et ponctué de lettres qu’il reçoit ou écrit alternativement.

 

 

 

U4 : Jules, Yanis, Koridwen et Stéphane par Yves Grevet, Florence Hinckel, Vincent Villeminot et Carole Trébor, aux éditions Nathan et Syros.

C’est l’histoire de quatre auteurs qui se retrouvent sur un salon « fantasy » et qui s’ennuient, face aux passionnés déguisés, et se sentent peu à leur place. Ils discutent, font durer les pauses et se lancent « Et si on faisait quelque chose ensemble ? ». Et là, contrairement à beaucoup de fois où le projet ne voit pas le jour, ils se lancent vraiment dans l’aventure. Les quatre auteurs choisissent un scénario, l’histoire d’un monde apocalyptique touché par un virus qui ne touche pas les adolescents. Et ils inventent leur personnage, qui rencontrera forcément les autres et c’est là où l’idée devient intéressante. Car ils écrivent sous le regard des autres.

Aux dires d’Yves Grevet, c’est vraiment une expérience d’écriture passionnante, mais prenante et difficile. En effet, tout doit être négocié jusque dans les moindres détails avec les autres auteurs. Par exemple, si l’un veut qu’un autre personnage soit assis dans une scène, il doit se justifier, expliquer l’intérêt, etc… Les auteurs se corrigent mutuellement, ils écrivent parfois une même scène l’un à côté de l’autre. Certains passages presque éludés dans certains tomes sont largement plus développés dans d’autres. Au total, les auteurs se sont envoyés plus de 3 000 mails pendant les deux années qu’ont duré l’écriture du livre.

Les lecteurs peuvent donc lire la série dans l’ordre qu’ils veulent, mais aussi, lire les 4 tomes ensemble en avançant dans les quatre au fur et à mesure de l’intrigue ! A paraître un 5e tome écrit lui à 4 mains (ou à 8 !).

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