Séquence Théâtre Jeunesse : Une lune entre deux maisons

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Pour tout vous dire, je m’étais déjà essayée au théâtre en cycle 3, j’avais consciencieusement emprunté les ouvrages conseillés par la liste de références du Ministère…..et j’avais trouvé ça ennuyeux, chronophage dans un emploi du temps de CM1 ……Bien plus tard, j’ai partagé mon ressenti plutôt négatif sur le théâtre à l’école avec Marie Bernanoce, spécialiste de la Didactique du théâtre, Enseignant-chercheur à l’Université Stendhal et sa réponse a été simple: « Pourquoi vouloir faire jouer une pièce de théâtre à des enfants, il y a tant de choses à faire avec un texte de théâtre! » Après de nombreux échanges, de multiples lectures sur la didactique du théâtre, elle m’a convaincue.

Aussi, je partage aujourd’hui une séquence sur la magnifique pièce de Suzanne Lebeau « Une lune entre deux maisons ». Elle s’adresse à des élèves de CE1, lecteurs, et permet une interdisciplinarité (vocabulaire, arts visuels, eps…)

Pour débuter cet article, voici quelques renseignements sur l’auteur et sur le texte .

Suzanne LEBEAU, Une lune entre deux maisons, Editions Théâtrales II Jeunesse, Montreuil-Sous-Bois, 2006 (1ère éd. 1980).

Suzanne Lebeau est une auteure canadienne née en 1948. Tout d’abord comédienne de théâtre, elle joue de 1966 à 1973 à Montréal, puis à Paris. Après avoir fondé la compagnie de Théâtre le Carrousel avec Gervais Gaudreault en 1975, Suzanne Lebeau se consacre exclusivement à l’écriture.

Après 25 pièces originales, 3 adaptations et plusieurs traductions, elle est reconnue internationalement comme l’un des principaux auteurs pour jeunes publics. Ses œuvres sont publiées de par le monde : Une lune entre deux maisons (1979) est la première pièce canadienne écrite spécifiquement pour la petite enfance, elle a été traduite en six langues.

Dès 1993, la dramaturge est invitée à diriger des ateliers d’écriture, à donner des conférences et à participer à des résidences d’auteurs en France et de par le monde.

De 2007 à 2010, le Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine et Suzanne Lebeau poursuivent ensemble un compagnonnage. Plusieurs saisons durant, le Théâtre Jean-Vilar a choisi d’explorer avec Suzanne Lebeau les rapports entre le réel et l’écriture.

Elle a également enseigné l’écriture à l’École Nationale de Théâtre du Canada pendant 13 ans.

Suzanne Lebeau a une réelle réflexion sur son écriture, elle souhaite adopter un point de vue :  » écrire pour enfant est davantage une façon de regarder le monde que la nécessité d’en inventer un, différent et merveilleux, plus gai, plus coloré, plus souriant. »[1]

Elle ne souhaite pas décrire un univers irréel mais bien décrire la réalité  avec ses problématiques, ses manières de vivre, sans sujets tabous:« D’un côté de la corde il y a cette volonté de protéger l’enfance et les enfants de la «dure réalité de la vie en choisissant de bâtir un univers parallèle plus joyeux et sécurisant. »[2]

Sa recherche de doctorat lui donne l’opportunité de se questionner sur les circonstances encadrant la pratique artistique destinée au jeune public : Comment faire pour que se réalisent et se mettent en place toutes les conditions nécessaires pour qu’il y ait une vraie rencontre entre les enfants et les arts ?

La pièce

Dans la pièce, Plume est un personnage vif, bavard, ouvert. Taciturne parle peu, c’est un personnage secret qui écoute et joue de la musique. Leurs maisons sont voisines, ils vont se découvrir, composer avec leurs différences et devenir amis grâce à la nuit riche de bruits hostiles et d’ombres inquiétantes.

 * Les personnages de Plume et Taciturne opposés dans leur manière d’être mais néanmoins complémentaires à l’image de leurs maisons (qui finiront par s’emboîter à la fin de la pièce) permettent d’envisager une piste didactique notamment en analysant leur discours, leur apparence.

* Les symboles présent dans chaque objet que manipulent Plume et Taciturne peuvent  permettre à l’élève de dégager une idée symbolique de la pièce. Cette réflexion permet d’utiliser la richesse du texte pour débattre d’un concept comme l’amitié, la différence.

* Les didascalies sont précises et fournies :

–  la non-sexualisation des personnages nous renvoie à une autre pièce publiée par les éditions Théâtrales II Jeunesse, Miche et Drate, Paroles blanches de Gérald Chevrolet[3], dans laquelle « deux personnages sans âge, sans sexe avec des mots tendres, poétiques et oniriques, comme « deux parties du cerveau qui dialoguent au bord du monde ». Ils se heurtent avec naïveté et humanité à un monde trop grand pour eux, sauf à se construire leur univers. »[4]

-le rapport au public : le texte didascalique est ici à dominante de régie, les personnages évoluent explicitement dans ce qui serait la mise en scène de la fiction théâtrale ; l’écriture de Suzanne Lebeau donne des règles pour les personnages, le décor, il y a un réel appel à la scène.

Quelques phrases

Scène 1-présentation des personnages 

« Plume et Taciturne sont assis par terre sous trois gros nuages. Il pleut. Ils sont un peu cachés par un gros parapluie sous lequel ils s’abritent. Taciturne a avec lui des instruments de musique de toutes sortes, des plus simples aux plus complexes. Quand les enfants arrivent, Plume se trémousse et leur envoie des saluts, de gros gestes de bienvenue, des becs. Il fait aussi signe de ne pas déranger Taciturne qui semble très absorbé par sa musique. »

 Ce texte  nous présente des personnages présents sur scène à l’entrée des élèves, ils engagent un dialogue visuel (Plume salue) et auditif (Taciturne joue de la musique). Dès leur arrivée les élèves sont immergés dans l’univers théâtral.

Scène 3- La rencontre de Plume et Taciturne

       Plume, assis, reçoit sur la tête un gros carton ou linge sur lequel est écrit : « Je m’appelle Taciturne. »

Plume.- (déconfit) J’sais pas lire.

C’est pas grave.Ca veut dire bonjour.

Maladroitement, en suivant avec ses doigts.

Plume.- « Bonjour », « bonjour, comment ça va ? »

Taciturne fait le tour de sa maison avec une clôture qu’il vient placer entre Plume et lui. Plume est si absorbé dans son déchiffrage qu’il ne voit pas Taciturne. Taciturne s’aperçoit que Plume ne sait pas lire. Il s’arrête et, avec son doigt, en suivant les lettres il lit :

Taciturne.- Je m’appelle Taciturne. »

Cette scène aborde l’apprentissage de la lecture en le définissant comme essentiel pour la communication avec l’autre, avec le monde.

Scène 9 –C’est tellement mieux quand on est deux

Taciturne : « Chut ! Plume dort. C’est comme ça que Plume et moi, on s’est rencontrés. Hier, je le connaissais pas. Maintenant c’est mon ami. »

Les deux personnages revivent une situation qui s’est déroulée hier. Le fait d’évoquer un événement passé permet de ne pas ignorer le besoin d’immédiateté du jeune élève : le fait a déjà eu lieu, le jeune enfant ne peut donc pas intervenir pour changer le cours des choses.

Cette réplique de Taciturne permet de clore la pièce avec un retour au présent et les mots simples (mais pas simplistes) traduisent le sens d’ami : celui qui a été là quand j’avais peur.

Pistes de travail envisagées

Ce texte est composé de phrases courtes, et le vocabulaire est simple. Il évoque deux thèmes qui ont du sens pour les jeunes enfants, l’amitié et la peur, il semble donc accessible aux élèves de fin de cycle 2/début de cycle3.

Ce texte ne se limite pas à sa surface, le traitement des rapports à l’autre apporte une complexité, un questionnement qui permet d’envisager une lecture littéraire du texte, un débat philosophique avec les élèves. De plus, la théâtralité de ce texte est forte et induit de nombreuses activités en classes pour les jeunes enfants comme les plus âgés comme « la place des acteurs, (..) leurs gestes, (..) leur mimique, (…) leur parole »[5] lors d’une mise en espace.

Dans le cadre d’une problématique qui s’interroge sur comment faire lire et comment analyser un texte de théâtre, une séquence de lecture suivie en fin de cycle2/ début de cycle 3 permettrait d’envisager de travailler les compétences des programmes de l’Education Nationale en centrant l’entrée sur le texte didascalique.

-« Écouter et lire des œuvres intégrales courtes ou de larges extraits d’œuvres plus longues. »

-« Lire, comprendre et interpréter un texte de théâtre  »

-« Identifier les personnages, les événements et les circonstances temporelles et spatiales d’un récit qu’on a lu. »

-« Identifier la double temporalité de la pièce grâce à partir du texte didascalique »

Les objectifs généraux de la séquence sont de se créer un horizon d’attente à partir du texte didascalique et de confirmer ou infirmer cet horizon d’attente à partir des éléments de voix didascalique tout au long du texte de théâtre, de saisir l’univers de cette pièce à travers le texte et la mise en voix effectuée au sein de la classe.

Pour élaborer cette séquence, je me suis inspirée des ouvrages de didactique du théâtre et notamment de ce dernier:

Marie BERNANOCE, A la découverte de cent et une pièce  : Répertoire critique de Théâtre contemporain pour la jeunesse, Scéren-CRDP Grenoble, 2006.

A travers une sélection de cent une pièces, Marie Bernanoce montre la diversité du théâtre contemporain pour la jeunesse. Le thème, l’écriture, la dramaturgie de chaque oeuvre est étudiée et de nombreuses pistes de travail sont proposées pour la scène et la classe.

En ce qui concerne Une lune entre deux maisons, Marie Bernanoce souligne la double temporalité de la pièce.

La pièce bénéficie de :

la rupture de l’illusion réaliste  présente dans les répliques de Plume « oubliez pas…c’était hier »,

l’adresse au public  signifiée à plusieurs reprises dans le texte didascalique :  Taciturne en profite pour nouer un dialogue avec les enfants, PLUME.- (aux enfants)

le changement de décor à vue décrit par les personnages « C’était pas comme ça hier. Moi je suis arrivé le premier et c’était pas comme ça du tout. Y avait pas une seule maison. »

De plus, la mise à nu de la théâtralité apparait dans les documents accompagnant le texte de théâtre, intitulé Notes sur l’écriture d’Une lune entre deux maisons. Suzanne Lebeau cite l’utilisation de deux maisons qui deviennent une seule, le jeu scénique autour de ces deux maisons (dedans, dehors, autour, au-dessus..), l’utilisation d’objets à la fois signes et symboles comme la corde à linge qui permet de rapprocher les deux maisons, le ballon qui permet de jouer ensemble, le dessin qui est cadeau.

Enfin à noter la présence d’une scène et de propos qui mettent en jeu l’acte d’apprentissage : Plume qui essaie de comprendre un message écrit, Taciturne qui aimerait apprendre à lire à Plume pour le remercier.

Dans son analyse, Marie Bernanoce relève dans le texte l’importance de la voix didascalique.

La voix didascalique est le lieu d’articulation entre la voix de l’auteur et la voix du lecteur, construisant l’imaginaire de la fiction et de la régie. (….) cette notion permet de penser la façon interactive auteur et récepteur du texte de théâtre, et le lecteur n’est pas oublié. C’est l’outil de réconciliation des outils de la scène et des outils du texte. Elle permet de penser, dans l’activité de lecture, la relation du texte à la fiction comme la représentation, en particulier en donnant corps et force littéraire à des parties du texte que l’on a trop facilement tendance à considérer comme accessoires. »

Suzanne Lebeau le précise dans ses Notes sur l’écriture, les objets ne sont pas de simples accessoires de théâtralité, ils sont un symbole et permettent au jeune public de se construire leur monde. Aussi le ballon, la lune, la corde à linge, la cadeau ….trouveront un sens aussi dans le texte de théâtre.

Les pistes proposées aux enseignants sont une réflexion sur l’esthétique du théâtre par le biais de pistes d’exploitation en classe de non-lecteurs comme le travail sur la structuration du temps (jour/ nuit), la dictée à l’adulte d’une autre scène de peur, diverses activités de langage concernant le lexique et des activités motrices.

Si l’on considère l’adresse au public, de nombreuses idées sur la mise en œuvre de la pièce peuvent être imaginées :

-le théâtre de papier, théâtre miniature tenant en général sur une table. Les personnages sont à l’échelle du théâtre et sont actionnés par des tirettes en carton latéralement par le narrateur qui se tient généralement derrière la table. Chacun pourrait fabriquer une façade de théâtre, des décors, des figurines, les coller sur du carton et les assembler.

-le théâtre d’ombres qui consiste à projeter sur un écran des ombres produites par des silhouettes que l’on interpose dans le faisceau lumineux qui éclaire l’écran.

Et pour vous donner un aperçu :

 

 

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[1] Jasmine DUBE, « Le théâtre pour les tout-petits : point de vue de Suzanne Lebeau, dramaturge », in Lurelu, volume10, 1988, p28-32

[2] DUBE Jasmine, « Le théâtre pour les tout-petits : point de vue de Suzanne Lebeau, dramaturge », op.cit.

[3] CHEVROLET Gérald, Miche et Drate, Editions Théâtrales II Jeunesse, Montreuil-sous- bois, 2006.

[4] http://www.editionstheatrales.fr/catalogue.php?num=461

[5]BARTHES Roland, « Littérature et signification », Essais critiques, Seuil/Points, 1981 (1963), p. 258

 

 

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