Comme un million de papillons noirs

Les coïncidences se sont multipliées pour parler de cet album. D’abord, il y a eu cette émission où j’étais estomaquée de constater que même si c’était bref et aurait mérité d’être davantage creusé, un espace a été fait à la littérature jeunesse un dimanche midi à la télé dans Clique dimanche sur Canal +, c’était le 11 novembre dernier…

Et puis, il y a eu le salon du livre jeunesse de Montreuil 2018 où je voulais feuilleter cet ouvrage si attirant et où il fut victime de son succès grandissant. On en est à combien de tirage là?! Enfin, il a eu ce podcast qui m’a rappelé au bon souvenir d’Adé mais on en reparlera en fin de post…

Alors, cet album…

Comme un million de papillons noirs, Laura Nsafou, Barbara Brun, Cambourakis, 2018

 

Her clothes were white, her hair like a million black butterflies asleep on her head. 

Ses habits étaient blancs et ses cheveux, semblables à un million de papillons noirs endormis sur sa tête.

Délivrances, Toni Morrison, Ed. Christian Bourgois, 2015

C’est cette phrase de Toni Morrison qui a inspiré l’histoire d’Adé, petite fille noire aux cheveux crépus, à Laura Nsafou nourrie par des souvenirs d’enfance:

Adé adore les éclairs au chocolat, les papillons et poser des questions. Elle a aussi de magnifiques cheveux mais ses camarades d’école s’en moquent, simplement parce qu’ils sont différents. En compagnie de sa mère et ses tantes, elle va heureusement découvrir en douceur la beauté des papillons endormis sur sa tête, jusqu’à leur envol final.

Cet album soigné – de la typographie du titre aux pages de garde en passant par les détails subtiles et foisonnants -ouvre la discussion sur la représentation des personnages noirs dans la littérature de jeunesse, sur l’héritage et la diversité culturels mais aussi plus largement sur le harcèlement scolaire et la construction de l’estime de soi grâce au texte mais aussi aux illustrations réalistes et poétiques de Barbara Brun qui sublime ici la culture noire.

Je vous invite dès à présent à parcourir le blog de Mrs Roots alias Laura Nsafou, blogueuse littéraire afroféministe!

Et pour finir et prolonger la discussion entre adultes…

Noire n’est pas mon métier, collectif (Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Aïssa Maïga, Sara Martins, Marie-Philomène NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré, France Zobda), Seuil, 2018, 17€

Ce livre est un appel à une représentation plus juste de la société française au cinéma, au théâtre, à la télévision et dans le domaine culturel en général qui m’a paru faire un bel écho à l’album et à la démarche de Laura Nsafou. Aïssa Maïga, à l’initiative de ce manifeste, où la quinzaine d’actrices témoigne du racisme et du sexisme qu’elles subissent en tant que femmes et Noires, parle de ce projet dans ce petit bijou de podcast nommé La poudre.

Un grand Merci à Gaëlle pour la découverte de ce podcast féministe où la journaliste Lauren Bastide reçoit dans une chambre d’hôtel une femme inspirante, artiste, activiste, politique pour une conversation intime et profonde.

Publicité

A la fable fontaine

A la fable fontaine,

M’en allant découvrir,

J’ai trouvé les vers si beaux,

Que je m’y suis plongée,

Il y a longtemps que je t’ai apprise,

Jamais je ne t’oublierai !

A l’occasion de la sortie en librairie d’Auprès de La Fontaine, fables en haïku, le dernier volet venant clôturer la trilogie des recueils signée Agnès Domergue et Cécile Hudrisier, nous avions envie de revenir sur le genre de la fable par le biais d’une petite sélection de livres.

Après les contes merveilleux et les mythes grecs, ce sont les fables de La Fontaine qui ont inspiré la revisite du duo. Quelques extraits sur le site de l’éditeur, Thierry Magnier, en attendant d’avoir la précieuse anthologie entre les mains…

Le principe reste le même: ce sont vingt fables de La Fontaine, des plus célèbres aux plus discrètes, qui ne demandent qu’à être redécouvertes, réécrites sous forme de haïku  (bref poème de 3 lignes d’origine japonaise) et illustrées à l’aquarelle par Cécile Hudrisier.

auprès de la fontaine, fables en haïku

Auprès de La Fontaine, fables en haïku, Agnès Domergue, Cécile Hudrisier, Thierry Magnier, 2016

fontaine aux fables

La fontaine aux fables, collectif, Delcourt, 2010

La Fontaine aux fables, ce sont 3 volumes de 12 fables illustrées en bande dessinée par des dessinateurs de la maison Delcourt mais fidèles au texte original de Jean de La Fontaine. A noter, on trouve également une édition de l’intégralité des 36 fables.

fables de la fontaine sur des airs de jazz

Fables de La Fontaine sur des airs de jazz,Pierre-Gérard Verny, Sébastien Pelon, Père Castor, 2008

Ce livre-disque reprend les textes originaux de 28 fables de La Fontaine et les interprète d’une manière jazzée à travers différents styles musicaux dont la java, la fugue, la valse et l’aria. 

le lièvre et la tortue

Collection « Comptines, fables et poésies » chez Bilboquet illustrées par Isabelle Carrier

Les moments-clés de la fable sont présentés de façon imagée par des illustrations composées de collages afin que le récit soit compris par les plus jeunes. Le texte intégral de La Fontaine figure en fin d’ouvrage. Le corbeau et le renard, Le lièvre et la tortue, Le loup et le chien, Le renard et la cigogne ont ainsi été réinterprétés par Isabelle Carrier.

thierry dedieu

Les fables de La Fontaine mises en scène par Thierry Dedieu, Seuil, 2008 et 2009

Dans ces recueils, les fables sélectionnées sont mises en perspective dans des tableaux tout en dentelle d’ombre et de lumière, illustrant l’une des techniques de l’art du pop-up.

fables de la fontaine pour réfléchir

Les fables de La Fontaine pour réfléchir, Laeticia Pelisse, Mauro Mazzari, coll. « Philo – des mots pour réfléchir », Oskar Jeunesse, 2010

encore des fables de la fontaine pour réfléchir

Encore des fables de La Fontaine pour réfléchir , Isabelle Wlodarczyk, Mauro Mazzari, coll. « Philo – des mots pour réfléchir », Oskar Jeunesse, 2014 

On évoque souvent les morales qui concluent les fables de La Fontaine. Elles passent souvent pour des vérités absolues, et pourtant, elles comportent bon nombre de préjugés que ces 2 ouvrages nous apprendront à déjouer  ainsi que des explications et des exemples permettant de réfléchir par soi-même et de confronter nos idées à celles des autres, pour mieux décider de ce que l’on doit en penser…

après vous M. de la fontaine gudule

Après vous, M. de La Fontaine… : Contrefables, Gudule, Livre de poche

Ce recueil de Gudule se compose de vingt-trois textes qui font suite aux Fables bien connues de Jean de La Fontaine, ce qui justifie le titre. Cependant il convient de s’interroger sur le sens de l‘expression « Après vous ». S’agit-il pour l’auteur d’imiter le fabuliste en reprenant les mêmes thèmes et en les actualisant, ou au contraire de suivre ses pas en proposant des suites immédiates à chacun de ses textes ? Nous verrons que c’est à la fois l’un et l’autre : Gudule reprend les thèmes de Jean de La Fontaine, les rend plus contemporains, mais excelle également dans des suites qui illustrent la morale classique ou la dépassent.

le corbeau et le fromage dominique descamps

Le corbeau et le fromage, Dominique Descamps, Les Grandes Personnes, 2015

C’est l’histoire d’un corbeau, désireux de redorer un blason autrefois terni par l’affront d’un certain renard. Notre maître corbeau décide, pour se venger, de croquer en entier un fromage passant par la forêt. Malheureusement, il sera pris à son propre piège.

Les linogravures aux couleurs vives de Dominique Descamps sont accompagnées de découpes et autres surprises de papier. Elles campent le décor d’un texte tout en rimes à l’humour acéré.

Juste une erreur, Hubert Ben Kemoun

juste une erreur

La couverture semble parfaite pour un roman d’été et pourtant la lecture de la quatrième de couverture nie le ton léger auquel on pourrait croire juste en se focalisant sur la photo et les couleurs très « girly ».

Ce roman, je l’ai offert à ma fille de 11 ans, lors du salon du livre d’Albi. Je me rappelle que Monsieur Ben Kemoun nous avait mises en garde. Il avait expliqué à Amélie que le sujet était difficile, qu’elle pouvait commencer à le lire ou faire le choix de le garder pour un peu plus tard. Elle a fait le second choix. J’ai donc ouvert ce livre qui pourtant lui était dédicacé. Petite intrusion d’une maman dans « ce qu’elle pourra lire plus tard ».

Je ne suis, d’ailleurs,  pas tout à fait d’accord avec ce « plus tard »: oui le sujet est dur mais il est surtout édifiant. À une époque où tout est fait pour que nos jeunes filles croient qu’ un physique parfait permet, à lui seul, de réussir ; à une époque où passer à la télé coûte que coûte semble être le nouveau graal ; ce roman (qui n’est certes pas une nouveauté) montre les dangers de l’apparence et des paillettes et oppose à cela un personnage sincère et droit qui a l’intelligence de mettre l’amitié au dessus de toute gloire éphémère.

Tout commence dans un univers plutôt rose et léger. Deux collégiennes que tout oppose sont pourtant des amies « à la vie à la mort ». L’une, Mélanie est séduisante et séductrice. Une véritable lolita comme les façonnent les magazines. Toujours à la pointe de la mode, elle aime attirer le regard. Son amie d’enfance, Mélitine, a un prénom aussi singulier que son personnage. Elle ne brille pas par son physique et sa plastique mais par sa spontanéité et ses traits d’esprit. Élève brillante, elle grandit dans un foyer sécurisant où l’on est peu enclin à se laisser éblouir par ce qui brille. Leur amitié étonne mais elle est là, solide. Enfin, c’est ce que chacune croit. Jusqu’au jour d’un mauvais casting. Évidemment l’une s’y rend en mettant en avant ses plus beaux atouts. Évidemment l’autre s’y rend pour accompagner et soutenir l’envie de réussite de son amie. Évidemment, il y a de la concurrence : Mélanie n’est pas la seule belle. Évidemment celle retenue fera des envieuses. Mais au delà de l’évidence, il y aura une « outsider »: une concurrente qui s’ignore.

Dès lors, le roman rose bascule du côté obscur. Les véritables personnalités se dévoilent et la tension entre les personnages se développe  jusqu’au point de non retour.

J’ai aimé ce livre car  il décrit avec finesse et détails la psychologie des personnages empêtrés dans cette histoire noire.

En effet , les chapitres alternent les différents points de vue afin que le lecteur touche au plus près les pensées et les sentiments de Mélanie, de Mélitine, de Sonia et de Christophe. Oui, il y a un homme dans cette sombre histoire. Un homme amoureux et manipulé. En revanche, la plupart des personnages féminins sont égocentrés et cruels. Heureusement, face à ces manipulatrices s’impose  l’authenticité d’une jeune fille qui ne se bat pas contre les autres mais pour les autres. Une jeune fille pour qui l’amitié ne se vend pas contre l’illusion de la réussite.

C’est un roman à lire ou faire lire  à nos jeunes adolescents. Un roman qui appelle à la discussion.

Cerise sur le gâteau : voici la dédicace de Monsieur Ben Kemoun qui, en quelques mots, dit beaucoup de ce roman.

IMG_1657

Et un second cadeau. Cette jolie citation qui m’a beaucoup interpellée et me plait assez:

 » J’ai toujours pensé que des parents règleraient nombres de problèmes avec leurs enfants s’ils savaient leur montrer à quel point simplement et gaiement, ils s’aiment, se désirent, se cherchent et se trouvent. » page 58.

Hubert Ben Kemoun, Juste une erreur, édition du Seuil, 2011, 135 pages.